dimanche 21 octobre 2012

Peut-on vivre sans convictions fortes ?

- Jean 3,13-17 -

Vous avez sans doute vu ou lu l’aventure de Felix Baumgartner, le parachutiste autrichien qui a fait un saut dans le vide à 39 000 m d'altitude dimanche dernier. Les commentaires sont unanimes : Baumgartner a réussi grâce à la force de ses convictions - et avec une telle conviction, tout devient possible. L’humanité a enfin trouvé un nouveau héros qui incarne la conviction qu’il nous est même possible de monter au ciel, et de revenir indemne.

Cela m’a fait penser à un autre homme de conviction, cosmonaute celui-là, qui a effectué un vol dans l'espace au cours de la mission Vostok 1, le 12 avril 1961, dans le cadre du programme spatial soviétique. Youri Gagarine aussi incarne depuis lors cette conviction que le pouvoir de l’humanité n’a pas de limites, avec sa fameuse affirmation « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas vu dans l’espace ».

Ainsi, la question qui nous est posée aujourd’hui dans le cadre des «Protes’temps forts 2012», «Peut-on vivre sans convictions fortes?», j’aimerai l’entendre précisément dans cet esprit d’une humanité qui se construit par ses propres forces, par son savoir-faire, et qui répond franchement : « Non, une vie sans cette conviction forte - que l’humain se construit  justement et uniquement par sa propre conviction - ne serait pas digne de l’humain. »

Or, l’Evangéliste Jean semble vouloir ramener les convictions du cosmonaute Youri Gagarine et celle de Felix Baumgartner au sol : "Personne n’est monté au ciel" s’écrit-il - et en effet, aucun homme n’est jamais arrivé, et n’arrivera jamais, à démontrer l’existence ou la non-existence de Dieu. Personne n’est monté au ciel, car ce lieu où Dieu habite, il n’est pas dans l’espace.

Dans l’aventure de Gagarine, comme dans celle de Felix Baumgartner, apparaît un des morceaux les plus paradoxes de notre humanité : Être humain, c’est vouloir être Dieu. Car l’homme ne saurait se contenter de sa condition présente, mais se projette vers un futur toujours plus beau, plus grand, plus civilisé - plus plus (comme chante la pub de je ne sais plus quel service qui apporte toujours plus). C’est cette recherche que nous pouvons appeler notre « recherche de la lune », la recherche d’une bonne lune pour notre vie, peut-être d’une éternelle lune de miel. Nous les humains cherchons à parfaire notre vie, à la conduire à la parfaite conviction que nous pouvons nous construire par nous-mêmes.

Depuis des siècles, les Chrétiens aussi ont décrit aussi la vie chrétienne comme une « voie de la perfection » : La voie des conseils évangéliques a souvent été appelée « la voie de la perfection », et l’état de vie consacrée « état de perfection » ...

Mais il est apparu que cette idée-là aurait été beaucoup plus l’expression de la recherche humaine visant la divinité - l’auto-divinisation de l’humain - que l’expression de la recherche de Dieu d’une humanité capable de vivre avec les moyens qui lui sont donnés, des moyens qui sont limités, donnés pour un temps restreint.

Aussi, nus avons redécouvert que la source de notre vie, ce n’est pas que NOUS puissions aimer Dieu, mais que Dieu a tant aimé le monde, comme le dit Jean. Dieu nous laisse ainsi un monde à l’imparfait -un monde en création- une vie donc parfois sans orientation claire et précise, sans convictions fortes, mais avec l’espoir puisé dans la Bible qu’heureusement la fin et la finalité de cette vie ne nous appartiennent pas.

C’est donc cette méconnaissance de la vie chrétienne que Gagarine incarne en particulier, avec son affirmation « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas vu dans l’espace » : Connaître Dieu n’est justement pas « avoir la conviction ou savoir qu’il existe ».
Connaître Dieu, c’est cesser de chercher le Dieu fini et défini par nous. Le Dieu de la Bible « n’existe » pas, selon ce que nous définissons comme existence. Il est un Dieu en mouvement, un Dieu qui « advient », qui vient nous trouver, malgré nous, malgré notre recherche et nos convictions fortes, malgré notre refus ou notre besoin de religion aussi.

Le christianisme a mis du temps à se relever de cette idée d’être une « voie de la perfection », un système parfait de croyances et de convictions parfaites. Jadis, la dogmatique chrétienne avait une réponse à toute question imaginable, et surtout inimaginable. Notre théologie est heureusement revenu à la modestie biblique qui ne décrit pas un système divin statique, mais qui témoigne d’une histoire, d’un dialogue vivants.

Il est notable que les sciences dites exactes, notamment la physique, ont connu depuis le siècle dernier, un cheminement semblable, allant d’une représentation statique du monde et du cosmos vers une théorie de l’univers qui le décrit comme étant en devenir, en progression, en « expansion ».

C’est par cette connaissance-là d’un Dieu qui « n’existe » pas comme objet de recherche, mais qui vient nous trouver, que la recherche de Dieu prend son vrai sens. Nous pouvons désormais nous sentir liberés et libres de toute obligation de réaliser par nos convictions le bonheur de l’humanité, de créer par nous-mêmes une vie réussie, une « vie divine ».
Le mystère de la vie n’est pas dans nos convictions abouties, mais précisément dans ce monde inachevé et provisoire. Ce sont les tableaux inachevés, dans l’oeuvre d’un artiste, qui sont les plus vibrants, les plus fascinants...

C’est là peut-être le premier enseignement d’une rencontre avec le Dieu de la Bible : Il ne nous pousse pas à chercher la lune, les convictions fortes, la perfection, l’état statique, mais il nous permet d’apprendre à vivre avec l’inaccompli, le non-parfait, le flottement dans notre vie.

Car la vie devant Dieu, il en est un peu comme dans le parcours d’un musicien qui aura répété un morceau, parfois des centaines de fois, et qui, au moment prévu du concert, devrait cesser les répétions, accepter l’interprétation telle que s’est développée et oser le pas, se tenir devant l’auditoire avec ce qu’il va se donner, à travers son interprétation, à l’instant ; une expression toujours provisoire de la partition qui est sur le papier.

C’est cela que ça veut dire « Ne pas chercher à établir des convictions fortes » : c’est savoir se présenter sereinement devant la vie, comme on va à un examen à la fac ou à l’Ecole, avec les quelques connaissances que l’on a pu acquérir, selon le temps et les moyens disponibles, en sachant que ce n’est qu’une prise instantanée (même s’il peut y avoir une mauvaise note…)
« Ne pas chercher des convictions trop fortes », c’est aussi ne pas attendre l’homme idéal ou la femme parfaite pour former un couple constamment et ostentatoirement heureux ; c’est aussi ne pas concevoir ses enfants comme des êtres parfaits, sans « anomalies ».

« Ne pas chercher des convictions trop fortes », c’est oser croire qu’à tout âge, la vie sera faite de projets « provisoires » et donc, qui méritent d’être vécus ; c’est cesser de vouloir créer tout un monde parfait, sans contradictions, y compris politiques ou éthiques, sans tensions et sans différences.

L’alternative à ces convictions trop fortes serait simplement de « se laisser trouver par Dieu » : C’est admettre que nous ne sommes pas en mesure de sauver l’humanité ; admettre que je ne suis pas en mesure, par mes convictions fortes, de sauver ma propre vie ; de sauver mon couple, ma famille, la vie de cette personne que je voudrais aider - et trouver ainsi le courage de faire des petits pas, par des « petites convictions », de chercher des tout petits signes d’amour qui montrent à l’autre comme à soi-même que l’avenir n’est jamais fermé, devant Dieu.

Tout ne devient donc pas possible, tout ne nous est pas possible, faute d’une conviction qui nous élèverait au ciel. Mais beaucoup de choses deviennent possible avec un Dieu qui est lui-même en mouvement, qui n’est pas un Dieu fini et statique, existant quelque part comme tel, mais qui est lui-même, selon la Bible, un Dieu en devenir, un Dieu qui advient, qui nous invite à voir le monde non plus comme statique, mais comme étant en devenir.

Ce Dieu nous permet de remplacer nos grands rêves de créer une vie parfaite, une humanité parfaite, omnisciente et divine par des convivtions fortes, par les petits gestes d’amour du quotidien. Il nous permet d’aimer le provisoire, aussi bien en matière de style de vie qu’en matière de religion. Ainsi, vouloir être un Chrétien parfait serait parfaitement monstrueux ! Osons plutôt devenir des Chrétiens provisoires, qui, provisoirement, au lieu d’organiser leur propre montée au ciel par des convictions fortes, acceptent la vie telle qu’elle se développe ; des Chrétiens provisoires qui osent se tenir devant Dieu avec ce qu’il va leur donner, pour vivre, encore cette année. AMEN.