dimanche 5 juillet 2015

Choisir son église

Prédication à l’occasion du 333e anniversaire de la paroisse du Temple Neuf

Notre église, nous devons la choisir. Pour entrer dans le deuxième tiers du millénaire du Temple Neuf, nous devons répondre d’une certaine manière à cette invitation : “Venez maintenant, c’est prêt !” Mais l’autre problème de l’annonce de l’Évangile est là : nous apprenons qu’en face de Dieu, il n’y a rien à choisir ! Nous apprenons que Dieu, pour se faire proche de nous, ne nous demande pas notre avis ni notre choix...



Texte biblique : Évangile selon Luc, chap. 14, 15-24.

En entendant ces paroles [dans la maison d’un chef des Pharisiens où Jésus est allé prendre un repas], un de ceux qui sont à table dit à Jésus : « Il est heureux, celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu ! »
Jésus lui répond par cette histoire : « Un homme prépare un grand repas et il invite beaucoup de monde. À l’heure du repas, il envoie son serviteur dire aux invités : “Venez ! Maintenant, c’est prêt !” Mais tous les invités, l’un après l’autre, se mettent à s’excuser. Le premier dit au serviteur : “Je viens d’acheter un champ et je dois aller le voir. Je t’en prie, excuse-moi.” Un autre dit : “Je viens d’acheter cinq paires de bœufs et je vais les essayer. Je t’en prie, excuse-moi.” Un autre dit : “Je viens de me marier, c’est pourquoi je ne peux pas venir.” Le serviteur revient chez son maître et il lui raconte tout cela. Alors le maître de maison se met en colère et il dit à son serviteur : “Va vite sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux.” Après un moment, le serviteur vient dire : “Maître, on a fait ce que tu as commandé, et il y a encore de la place.” Le maître dit au serviteur : “Va sur les chemins et près des champs. Ceux que tu rencontreras, oblige-les à entrer chez moi. Ainsi, ma maison sera pleine. En effet, je te dis une chose : parmi ces premiers invités, personne ne mangera de mon repas !” »


Chers amis,

Qu’est-ce qu’un choix ? Un choix, c’est une décision par laquelle on donne la préférence à une chose, une possibilité, en écartant les autres. Nos choix, c’est notre suprême pouvoir ; la liberté telle que la culture de notre époque nous l’a apprise est avant tout une liberté de choisir.

Cette liberté de choisir la façon de vivre sa vie, choisir son métier, choisir ses vêtements, choisir son conjoint, choisir le nombre d’enfants, etc, est en effet un phénomène relativement récent dans l’histoire de l’humanité. Il y a encore 100 ans, on ne choisissait ni la façon de vivre sa vie, ni son métier, ni ses vêtements, ni son conjoint, ni le nombre d’enfants qu’on devait élever.

Ainsi, on dit à juste titre que notre culture est une culture du choix et de la liberté de choisir. On doit tout le temps faire son choix. On peut faire un bon ou un mauvais choix. Il y a des choix difficiles, déchirants. Mais on doit pouvoir choisir, sinon une chose n’est pas adaptée à notre culture.

La parabole que Jésus nous raconte pour dessiner, devant nos yeux intérieurs, la vision de l’église qui correspondrait au Royaume de Dieu semble dans un premier temps confirmer cette importance du choix.

Le serviteur est venu dire aux invités : “Venez ! Maintenant, c’est prêt !”

Nous devons choisir. Pour entrer dans le deuxième tiers du millénaire du Temple Neuf, nous devons répondre d’une certaine manière à cette invitation : “Venez maintenant, c’est prêt !”

Il y a urgence à répondre. Vous voyez, je vous avais prévenu : notre fête d’anniversaire ne sera pas romantique du tout, du genre « c’était quand même mieux avant ». D’ailleurs, au Temple Neuf, il y a 333 ans, rien n’était mieux : une communauté se retrouvait dans la rue, chassée comme des chiens, et l’on entassait dans la grange la plus proche qui se trouvait être une ancienne église. C’est n’est pas vraiment le matériel dont sont fait les rêves nostalgiques.

Disons-le très simplement : L’église, hier, ce n’était pas mieux qu’aujourd’hui, c’était juste hier.
 
Mais c’est aujourd’hui, nous dit la parabole, qu’il faut répondre, il faut choisir.

Car devenir chrétien, c’est un choix de vie : malgré toutes nos pré-occupations, occupations et post-occupations, l’église relève d’un choix et d’une urgence.

Que faut-il choisir ? Tout abandonner, se convertir, attendre le Royaume de Dieu dans les Pyrénées ? Si déjà il y faisait un peu plus frais… Non, à mes yeux, chers mais, ce choix se traduit, pour nous, assemblée d’auditeurs réunie au Temple Neuf, aujourd’hui de cette façon : Comment puis-je contribuer à construire une communauté vivante, une assemblée festive pour le repas de Dieu ?

Que vous soyez venu ce matin par conviction ou par convention, joyeux ou en reculant, simple paroissien, invité de passage, curieux visiteur ou vicaire ayant à charge, à partir de septembre, l’Église réformée de Cosswiller, toutes et tous, moi et toi, nous nous retrouvons devant la parabole du grand repas avec cette question : Comment faire communauté, tous ensemble, tout un chacun ? Et s’il ne s’agit pas de la construire pour les prochains 333 ans, ça sera au moins pour les 333 prochains jours ! C’est toujours plus important de se donner des objectifs à court terme qu’on peut atteindre.

Ne croyez surtout pas que cette construction serait le fait, le boulot, des seuls pasteurs ou conseillers ! La parabole du grand repas vient nous rappeler que chacune et chacun y contribue, par  sa réponse, sa présence et son absence, par sa manière d’être présent ou sa manière d’être absent. Certes, ce choix que chacun est invité à faire relève d’une vie entière, car l’urgence de l’Evangile est paradoxale : pour y répondre sur-le-champ, il faut entrer dans l’éternité. Laissons donc à chacun le temps qu’il lui faut pour répondre.

De toute façon, il y a pas mal de personnes qui se plaignent de l’église, qui disent qu’elle aurait perdu de son charme, de sa rigueur, de son vivant, de son sérieux etc. - mais qui eux-mêmes n’y contribuent rigoureusement ni sérieux ni présence vivante ni charme ! C’est aussi pour cette raison que je regrette parfois que notre constitution d’église en Alsace-Moselle efface, par le fait qu’elle nous constitue en établissement public, cette dimension essentielle de la vie chrétienne : l’église est un choix personnel que nous devons faire, non pas un reliquat pseudo-étatique à préserver par nostalgie ou en vue de mes funérailles.

Une église qui n’est pas fondée sur le choix de ses membres à participer à la construction communautaire ne peut vivre de manière durable de l’Évangile. Elle devient une coquille vide.

Je vous avoue que j’ai parfois l’impression que, dans l’UEPAL comme dans notre paroisse tertiomillénaire, nous sommes comme les habitants d’une vieille maison qui est certes belle, et bien entretenue de l’extérieur, mais largement inhabitée, avec des pièces beaucoup trop grandes pour être habitables, difficile d’accès, etc. Elle est aussi inhabitée du fait que les enfants des propriétaires habitent loin, et même quand ils viennent pour une visite, ils préfèrent encore loger à l’hôtel. Certaines pièces sont donc carrément infestées de poussière, sous laquelle s’entassent de vieux trucs, protégés par des toiles d’araignées.

Dans cette situation, que font les vieux propriétaires ? Ils passent leur temps à repeindre le mur d’enceinte, à installer une caméra de surveillance plus sophistiquée, à se disputer avec le voisin sur une façon plus silencieuse de sortir les poubelles, et puis, pour carrément tuer le temps, ils s’amusent à reconstituer l’ameublement d’il y a 100 ans.

Vous croyez rêver ? Vous en avez le droit ; mais cette petite fiction n’est pas le rêve d’une église qui se construit, d’une communauté qui s’assemble et qui rassemble. C’est le rêve d’une église qui se conserve, qui croit pouvoir vivre par conservation.

N’ayons pas peur de le dire, chers amis : devant des choix cruciaux, il y a un moment où il faut identifier ce qui fait partie du problème et ce qui fait partie de la solution du problème. Dans la suite de nos cultes-débat sur les orientations stratégiques de l’UEPAL pour les 10 ans à venir, je le dis très simplement : en tant que pasteur, je suis convaincu que nos églises protestantes en Alsace-Moselle doivent, dans les années à venir, faire ce choix de rendre à chaque personne le choix de l’église, en se dotant d’une organisation associative adaptée à notre siècle, au lieu de préserver le reliquat des articles organiques. Autrement, nous risquons tout simplement de perdre l’église, en gardant une organisation creuse qui ne tournera qu’autour d’elle-même.

Bien sûr, les uns et les autres diront : il vaut mieux ça, là au moins on sait comment ça se passe ; on sait ce qu’on a, ça pourrait être pire… etc.etc. Bien sûr. Mais justement, chers amis, je le crains, d’un point de vue de la construction de la communauté qui verra ne serait-ce que les 333 prochaines semaines, ici au Temple Neuf et dans beaucoup d’autres lieux d’église en Alsace, ça ne pourrait être pire. Parce qu’on ne peut passer sa vie d’église à conserver un système qui ne promeut pas avant tout l’Évangile, mais une religion du passé.

Bien sûr, vous pouvez aussi me dire : Nous n’avons pas le choix. Nous sommes des héritiers. Nous vivons largement des choix de nos aïeux, depuis 333 ans et au-delà.

Et c’est vrai aussi. Il ne sert à rien de nier cet état de fait ; mais cet état ne devrait pas priver chacune et chacun de nous à faire les choix qui nous permettent de saisir la vie chrétienne avant la vie d’une institution.

Car il n’est pas faux de penser qu’une partie de notre problème d’une nouvelle construction de l’église vient du fait que nous voulons faire du neuf dans un (pas si) vieux temple qui, pour la majorité écrasante des contemporains, n’a du neuf que le nom.

Et c’est alors que me frappe la suite de la parabole. « Le maître de maison se met en colère et il dit à son serviteur : “Va vite sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux.” …  “Va sur les chemins et près des champs. Ceux que tu rencontreras, oblige-les à entrer chez moi. Ainsi, ma maison sera pleine. »

L’autre problème de l’annonce de l’Évangile est là : nous apprenons qu’en face de Dieu, il n’y a rien à choisir ! Nous apprenons que Dieu, pour se faire proche de nous, ne nous demande pas notre avis ni notre choix !

Qui sommes-nous alors ? Les premiers invités, qui refusent, ou les deuxièmes et troisièmes invités, qui sont obligés à venir ?

Dans la mesure où le type de spiritualité que nous cultivons ici devrait nous permettre de faire abstraction de nos possessions religieuses, je pense que nous pouvons légitimement nous voir parmi les derniers. Car dans notre église, nous sommes justement invités à faire l’expérience que nous ne sommes jamais propriétaires de la foi. Que l’église ne sert pas d’abord à ses membres, mais à ceux qui n’y sont pas.

Car personne ne saura jamais « choisir » la vie avec Dieu ; personne ne sera jamais, par sa vie, digne de participer au grand repas.

Justement, dans la tradition de notre église, par le baptême et la Sainte Cène en particulier, c’est Dieu qui nous choisit, et qui nous offre une dignité joyeuse et active. Le culte avec toute la liturgie, la prédication, et la Cène, est le lieu de cette expérience pour faire toujours à nouveau et à tout âge l’expérience que Dieu, de lui-même, sans condition, sans logique, à décidé de renouer le dialogue avec moi, d’entrer en relation avec moi, de s’ajuster à moi, de me donner sa justice et sa foi.

C’est pour cela qu’il est important que le culte soit célébré dans de bonnes conditions, dans un lieu et une atmosphère accueillante et chaleureuse, dans la joie des retrouvailles entre amis qui savent se pardonner, afin que le plus grand nombre (même s’il est petit en chiffres absolus) se sente invité.

Tout le sens de notre engagement en Église dépend de notre clairvoyance sur le lieu d’accueil que représente le culte : c’est pour cela que nous le réformons sans cesse, que nous devons toujours chercher une forme plus adaptée. Ainsi, à partir de la rentrée, nous voulons essayer d’inventer un culte différent, appelé la "Grâce matinée", tous les 2es dimanches du mois.

Cette recherche, nous l’avons résumé par une sorte de slogan que nous voulons utiliser pour inviter au Temple Neuf : « Cultivez le croire ».

Cultivez-le croire, c’est faire abstraction de nos possessions religieuses. C’est faire l’expérience que nous ne sommes jamais propriétaires de la foi. Cultiver le croire, c’est se laisser inviter en avant-dernier… et d’inviter d’autres comme s’ils étaient les derniers. Pour au moins 333 ans.

AMEN.