vendredi 9 janvier 2015

Les attentats et la Révélation

Recueillement œcuménique en prolongement du deuil national, Eglise du Temple Neuf

- Apocalypse, chap.21, 1-4 -

En ces heures et jours de deuil, où nous sommes suspendus à nos télés et téléphones pour suivre la situation en région parisienne, notre regard sur notre pays se transforme. Je ne saurais vous dire s’il est en train de se déformer ou s’il se corrige ; mais en prenant conscience de ces attentats à la liberté et à la fraternité, il est sûr que notre regard change.

Pour certains, c’est la peur qui s’installe.
En d’autres, une volonté d’action et de solidarité se renforce.
Et pour beaucoup - notamment pour ceux qui ne connaissent que par ouï-dire une vie spirituelle, de quelque orientation qu’elle soit - le dégoût pour tout ce qui a trait au « religieux » s’accroît encore.

Ces assassinats abjects auraient été commis au nom d’une religion, sur ordre d’un dieu !




Si une religion, quelle qu’elle soit, incluait ne serait-ce qu’une infime possibilité de motiver des personnes à commettre de tels actes, ne faut-il pas alors bannir le religieux, chercher à évincer cette source supplémentaire de violence et de conflits ? Telle est la question que, j’ose l’affirmer, une majorité de Français se posent ce soir, ouvertement ou secrètement, mus par la défense de leur foi ou bien par la dénonciation de croyances qui leur apparaissent de toute façon inaccessibles, en tous cas obsolètes.

L’affirmation, par leurs auteurs, que ces attentats auraient été commis au nom d’une religion, sur ordre d’un dieu, nous concerne ainsi également en tant que chrétiens.

Nous ne saurons rejeter bassement la faute sur l’Islam, et participer ainsi à l’irresponsable et l’irrationnelle culture du soupçon général face aux musulmans de France. Je considère, frères et sœurs, que le soupçon qu’un musulman pratiquant puisse cautionner, à cause de sa foi, ces actes de barbarie, est un affront arbitraire et injuste pour des millions de fidèles paisibles des communautés musulmanes de France, attachées comme nous aux valeurs de la République. Dans la République laïque, aucun musulman ne devrait se sentir obligé de se justifier, ou de justifier sa foi et son appartenance à une communauté de foi, parce que des aliénés et des psychopathes baragouinent des mots qu’ils ont volés par folie à une tradition musulmane qu’ils méprisent ouvertement par leurs actes. Appeler les auteurs des attentats de Paris des « musulmans » est un non-sens.

Je pense par ailleurs qu’il n’y a rien d’héroïque ni rien d’intellectuellement stimulant dans le fait de cultiver ce soupçon général face à la communauté musulmane, ou de répandre des demi-vérités et des idées reçues d’une superficialité confondante sur l’Islam, feignant d’ignorer sa complexité et sa diversité.

Je voudrais donc insister sur le fait que par l’affirmation que ces attentats auraient été commis au nom d’une religion, sur ordre d’un dieu, nous sommes aujourd’hui autant concernés en tant que chrétiens que tous les autres Français qui se réclament d’une révélation.

Car du point de vue du « grand public », c’est bien le « religieux » dans son ensemble qui est discrédité, autant qu’il échappe à la simple raison par la référence à une révélation. L’affirmation d’une révélation, du point de vue de celui qui n’y a pas accès, est le facteur déterminant dans la vie spirituelle : c’est par une révélation qu’un discours plus ou moins philosophique devient religieux.

C’est la révélation qui introduit dans le discours d’un croyant ce facteur non-raisonable qui le rend incontrôlable, inaccessible à celui qui n’accède pas à la (même) révélation. C’est la référence à une révélation qui aurait rendu ces actes barbares possibles...

En ouvrant ce soir, et justement ce soir, une nouvelle série de méditations œcuméniques sur le thème de la révélation biblique et chrétienne et ce qu’elle « dévoile », nous pouvons nous demander ce à quoi tient l’idée d’une révélation dans la Bible. Est-elle en effet ce qui rend notre foi inaccessible à ceux qui n’ont pas la chance de connaître ce qu’elle révèle ? Quelle est son importance ? Ne peut-on pas s’en passer ?

Or, le texte biblique que nous lisons ce soir est issu de ce livre appelé « Révélation de Jésus-Christ » : ces premiers mots du livre sont la clef de voûte de tout l’édifice. L’Apocalypse est avant tout la révélation d’une personne, Jésus-Christ, dont la connaissance n’est pas accessible à la simple raison historique. Parce que cette personne est le Fils même de Dieu, symboles, visions et images surabondent dans le livre de la Révélation pour tenter de faire comprendre l’ineffable.

Quand l’Apocalypse annonce ainsi la fin du monde et la délivrance, elle les relie à la mort et la résurrection du Christ. Le chrétien doit reconnaître en lui celui qui a déjà vaincu les puissances mauvaises. Il ne s’agit pas tant de deviner ce que sera le terme de l’histoire que d’entendre et de recevoir dans le présent une exhortation qui donne sens et espérance en l’avenir : le Christ est vainqueur des puissances de mort.

La révélation ne relève pas de la science, et encore moins de la science-fiction. Elle n’a pas un but politique ou rationnel, mais elle est un apaisement : ceux qui endurent les malheurs du monde peuvent savoir que le mal est déjà vaincu. Au milieu des drames qu’ils vivent, en dépit des épreuves, ils savent que leur combat a été combattu par Dieu ; ils n’ont plus besoin de combattre qui que ce soit.

La révélation introduit ainsi dans notre rapport au monde un second degré. Elle nous empêche et nous préserve - comme le fait, dans un autre registre, l’humour - de prendre tout dans ce monde au premier degré. La référence à la révélation n’est pas un facteur d’instabilité rationnelle, mais de stabilisation psychique : elle nous invite à prendre de la distance vis-à-vis de nous-mêmes, du super-sérieux de nos convictions, y compris religieuses, et d’essayer de regarder la vie avec les yeux de Dieu.

La foi en une révélation implique donc cette distance salutaire que Dieu nous encourage à prendre vis-à-vis de nos représentations de la vérité. Dans ce sens, la révélation et l’humour sont intimement liés. Je m’avancerai même un peu plus : que celui qui ne sait pas rire de sa religion n’a pas encore entièrement accès à la révélation qui la fonde et qui anéantit l’ennui et le pessimisme.

L’Apocalypse, elle, se montre résolument optimiste quant à l’avenir. Envers et contre tout, elle donne à ses auditeurs cette certitude que personne ne devrait leur enlever : ils sont déjà du côté du vainqueur. Il aura sa demeure avec eux, ils seront ses peuples… Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. À elle seule, cette promesse paradoxale résume l’Apocalypse : par la révélation, le futur s’arc-boute sur une promesse déjà accomplie. Amen.