dimanche 11 novembre 2012

Le Dieu au-dessus de moi et le prochain à côté de moi

- Job 38, 1 à 11
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"We hold these truths to be self-evident,
that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness."

"Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur."


Vous avez sans doute entendu quelques fois ce début de la Déclaration d'indépendance des treize Etats unis d'Amérique du 4 juillet 1776 lors de la campagne électorale de Barack Obama.

Cette phrase est peut-être une des plus connues de la langue anglaise et la plus forte et riche en conséquences de l'histoire américaine.

Le président Obama, dans la suite de son "modèle" Abraham Lincoln, considère que cette phrase représente l'intemporel standard moral pour toute politique.

Il se trouve que cet intemporel standard moral -cela ne surprendra personne- est en fait un standard biblique. Le livre de Job, que nous méditons ce matin, nous rappelle que "devant Dieu" l'Homme ne peut commencer par se poser lui-même.

C’est d’abord Dieu qui est là, avec ses voies mystérieuses et les questions qu’il pose. Nos propres problèmes, nos questions de tolérance et nos convictions, ne viennent qu’ensuite.

C’est d’abord Dieu qui est là, avec sa présence englobante qui a la puissance d’apaiser l'humanité.

"Tous les hommes sont créés égaux" -
et cela nous est certain parce qu' "ils sont doués par le Créateur de certains droits etc".

Le Créateur, ce Dieu "au-dessus de moi" précède donc ma relation au prochain à côté de moi ; mon égalité avec mon prochain procède de ma différence totale avec le Créateur.

Dans le livre de Job, la découverte de cette double relation
-relation d'inégalité à Dieu,
relation d'égalité avec le prochain-
conduit l'Homme à la connaissance de
soi-même qu'exprime Job : "Je suis peu de chose; que te répliquerais-je? Je mets la main sur ma bouche."

Or, notre histoire d'humains ne s'est pas arrêté à cette vision de l'Homme qui a souvent été considéré comme un rabaissement et dépréciation.

L'Homme, peu de chose ? En recyclant une phrase de la tradition philosophique grecque, attribué à Protagoras, on construisit une autre idée de l'humain : "L'Homme est la mesure de toute chose."

La tragédie de notre espèce a été de penser ainsi - voire de donner un semblant de "bonne raison" - à la suppression de toute limite à l'action et au totalitarismes humains, y compris religieux, avec des conséquences fatales à la fois pour les droits de l'Homme, le respect de la nature et la planète que l'on connaît et reconnaît aujourd'hui.

En effet, dans les mouvements pour les droits de l'Homme, telle que l'ACAT, comme dans les mouvements écologistes, on peut rencontrer la même devise : L'Homme ne doit pas être la mesure de toute chose, car "l'Homme puissant" n'est pas seulement peu de chose, mais une "chose dangereuse".

Pour trouver un équilibre dans la relation d'égalité avec le prochain - un citoyen du monde avec des droits et des devoirs - et la nature "libre", il semblerait que nous ayons besoin d'une relation d'inégalité à un "Être suprême".

Nous voici au concept fondateur à la fois de la Déclaration d'indépendance américaine (qui parle d'un "Dieu de la Nature" !) et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, qui stipule : "(…) l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen. (Art. 1er.) Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. (…)"

Ce texte, qui compte toujours parmi les "textes fondamentaux" de notre République, nous invite d'abord à adoucir quelque peu la différence absolue entre la laïcité à la française et la prétendue "théocratie américaine". (Cette opposition me semble d’ailleurs plutôt relever d’une certaine l'idéologie franco-française.)

La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen elle aussi se comprend "en présence et sous les auspices de l'Etre suprême" et fonde la relation d'égalité avec le prochain sur une relation d'inégalité fondamentale, celle entre les Hommes et l'Être suprême.

(Sans vouloir rentrer dans les détails juridiques, je me borne à rappeler que l'article 1 de notre Constitution de 1958 ne laisse aucun doute sur la signification précise de la laïcité, quand nous la lisons sans raccourcis idéologiques (puisque des responsable politiques de tout bord le jugent à présent utile d'adjoindre certains adjectifs pour préciser la laïcité) : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (…)"

Je retiens : la France est une République laïque, c'est-à-dire une République qui respecte toutes les croyances. Voilà le caractère simple de la laïcité française et qui n'a rien de spécifique ni "d'athée".)

En tant que lecteurs du livre de Job - tout comme les lecteurs du Coran ou même ceux de Michel Onfray, je suppose ! -, nous avons besoin de trouver un équilibre dans nos relations d'égalité humaine et écologique par la référence à un Être suprême, un "Tout-Autre", un "Deus maximus et optimus" (comme on disait autrefois), avec lequel nous sommes par définition en inégalité. Il nous renvoie ainsi à la condition humaine, en nous apprenant à dire dans un sens éminemment positif : "Je suis peu de chose".

Pour nous qui sommes réunis ici devant la Bible ouverte, cet "Être" ne reste pas anonyme, puisqu'il nous parle : dans le chapitre 38 et suivants du livre de Job, fait de tant de discours d'hommes plus ou moins désespérés, Dieu a enfin pris la parole.

Il parle non pas pour répondre, mais pour interroger à son tour. L’être humain retrouve alors sa place, celle d’un être responsable devant Dieu, qui doit répondre de lui-même et de ses façons de parler de Dieu, qui changent au cours de l'histoire. Mais Dieu reste Dieu.

Son mystère ne se laisse enfermer dans aucune formule confessionnelle. L’essentiel n’est pas dans les questions que nous pouvons nous poser à son sujet ni dans nos réponses, empreintes tantôt de certitudes religieuses, tantôt de doutes philosophiques. L'essentiel est dans le fait souverain qu’il est là.

C'est pourquoi nous ne saurons point juger les dieux des autres, pour condamner ceux qui vivent cette relation différemment que nous : car le Dieu au-dessus de moi ne saurait éclipser le prochain à côté de moi ; et le prochain à côté de moi ne devrait éclipser le Dieu au-dessus de moi, même si, par la rencontre de Jésus-Christ, ces deux relations tendent à se superposer.

Pour trouver mon équilibre, en faisant la différence entre "ce que je tiens pour juste" et "LA justice", entre "ce que je tiens pour vrai" et la "LA vérité", j'ai besoin d'un Tout-Autre qui m'interroge et me reconnaît ainsi pour celui qui je suis au plus profond de moi : non pas le "meneur de parole", mais celui qui ne peut que mettre sa main sur sa bouche, dans l'humilité qui pourtant n'exclut pas la révolte quand il faut se révolter.

C'est par ce signe de Job, qui ne signifie donc en aucun cas une forme de laxisme, mais seulement la reconnaissance de mes limites, que je reconnais non pas le "croyant", mais l'humain que je suis et qu'est le prochain à côté de moi. AMEN.