dimanche 6 janvier 2013

Une foi qui écoute

- Deutéronome, chap. 6, vv. 4 et 5 -
Écoute, Israël! Le SEIGNEUR, notre Dieu, le SEIGNEUR est un.
Tu aimeras le SEIGNEUR, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.

- Épître de Paul aux Romains, chap. 10, v. 17 -
La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend par la parole du Christ.





Pour commencer l’année en beauté, je voudrais vous raconter une de mes histoires drôles préféres.

C'est un couple qui fête ses noces d'or. Toute la journée, les enfants, petits-enfant, arrière-petits-enfants et visiteurs défilent pour congratuler les époux. Le soir, enfin, le vieux couple se retrouve, tranquille, sur le banc dans le jardin devant la maison. La femme regarde son mari et lui dit : "Tu sais, chéri, je suis fière de toi, j'admire toujours ton énergie !"
Mais le mari rétorque : "Qu'est-ce que tu dis là ? Tu sais que j'entends pas bien !" L'épouse lui répète : "J'admire ton énergie !" Le mari fait alors un geste désapprobateur de la main et dit : "Ben quoi, qu'est-ce que tu crois : Toi aussi, tu m'énerves parfois !" -

Nonobstant les difficultés auditives qui peuvent apparaître, nous sommes des êtres à l’ouïe fine et complexe ; toute notre vie dépend de multiples façons de notre capacité d’entendre et de comprendre des sons. Même en lisant la Bible, on aurait tendance à croire que l’ouïe est le plus « théologique » des cinq sens, et qu’il est nécessaire de le développer pour la vie spirituelle. Combien de fois nous y lisons de « celui qui entend les paroles de Dieu » et du fait que « quand je l’invoque, le SEIGNEUR entend ». Au travers de la Bible, Dieu émet en quelque sorte des « vibrations » — « Que la terre écoute, avec tout ce qui s’y trouve » ! Souvenons-nous du « Quiconque entend de moi ces paroles et les met en pratique... », et de l’appel de Jésus : « Que celui qui a des oreilles entende ! »

Il apparaît ainsi que la foi non seulement ne va pas sans dire, mais qu’elle ne va surtout pas sans que l’on entende.

J’aimerais montrer quelques aspects de ce principe de fonctionnement auditif qui, me semble-t-il, est propre au Dieu de la Bible. Notre Dieu est un Dieu qui se fait entendre — cela va à l’encontre de l’idée d’une mystérieuse « essence » divine qui serait cachée quelque part au plus profond de nous. Toute notre vie, notre rencontre avec Dieu dépend du respect de ce « bon sens théologique » : il faut commencer par faire silence en soi-même, et tendre l’oreille pour entendre Dieu « venant » de l’extérieur de moi. Celui qui se met ainsi à l’écoute n’a pas à fouiller dans ses entrailles, dans son intériorité, dans ses sentiments — il attend que Dieu parle, qu’il résonne, bibliquement parlant : qu’il m’appelle.

J’irai jusqu’à dire que l’on peut parler d’un acte physique de « croire », dès que l’on entend cette voix que la lecture de la Bible fait résonner (et qu’une personne malentendante peut très bien entendre, par exemple à travers le langage des signes).

Physiquement, les vibrations de la lecture biblique, de la voix du prédicateur, de la voix de celle ou de celui qui commente avec moi le texte et qui m’atteignent, constituent ce que nous appelons « croire ». C’est aussi simple que cela : une « audition », le simple geste d’écouter, nous permet de répondre à la question : Que veut dire croire ? Là où nous avons l’habitude de penser à la métaphysique, la Bible «entend» un acte physique, une présence, un espace, une communauté.

Je m’étonne souvent quand j’entends dire une personne : « Ah ! que j’aimerais croire en Dieu, mais c’est si compliqué, je ne sais par où commencer. Surtout, l’Église ne m’intéresse pas, avec ses histoires de machinations... » Je me dis alors que c’est un peu comme quelqu’un qui dirait : « J’aimerais bien faire du golf, mais je n’aime ni les clubs, ni les balles, ni les golfeurs... j’aime le golf sans tous ces trucs ». — Si l’on veut faire du golf, il faut accepter de mettre la main au club, d’apprendre à jouer avec d’autres golfeurs !

Pour croire, bibliquement parlant, c’est exactement pareil : il faut enlever les mains des oreilles, il faut se mettre au travail de l’écoute, fréquenter l’auditoire où l’on apprend à croire.

L’expérience humaine montre pourtant que même si j’entends, je n’écoute pas toujours. Écouter, c’est en effet s’appliquer à entendre, c’est diriger son attention vers la voix qui parle, lui prêter une oreille attentive. Écouter est le secret de la « vie en relation », confirment les psychologues. Il se trouve que le Dieu de la Bible n’a pas attendu la psychologie payante pour mettre en œuvre son projet de la vie humaine à travers l’écoute !

Ce que la Bible nous apprend sur les conditions nécessaires à l’écoute se vit très concrètement, au jour le jour. L’écoute se vit, par exemple, dans la relation avec un enfant (et c’est peut-être là où écouter est le plus compliqué). On va d’abord laisser la parole à l’enfant, le mettre à l’aise en l’invitant à s’exprimer — tout en se taisant au bon moment afin qu’il puisse parler. Mais en écoutant, il est alors souvent nécessaire de donner, doucement, quelques pistes à l’enfant, pour lui proposer des mots qui expriment (potentiellement) ce qu’il a vécu, sans le manipuler.


L’écoute se vit également dans la relation conjugale, de façon à ce qu’une relation durable entre deux conjoints consiste à prendre continuellement le temps et à trouver un lieu calme pour se parler abondamment. Vous connaissez les règles simples pour le quotidien : quand l’un parle, l’autre écoute activement et attentivement, en le lui signalant. Je parle à la première personne, en évitant les
« on » et les « toujours », pour privilégier les « j’ai vécu ceci ainsi » ou les « quand tu dis cela, je ressens ceci ». La relation conjugale est un véritable travail de l’écoute, qui s’apprend dans une petite formation à la « communication en couple » (mais dont on fait trop souvent abstraction dans la préparation d’un mariage, on se disant que les hormones vont régler l’affaire...).

Plus exigeant encore reste l’écoute qui construit la relation à Dieu. Dans le Deutéronome, nous lisons : « Écoute, Israël ! Le SEIGNEUR, notre Dieu, le SEIGNEUR est un. Tu aimeras le SEIGNEUR, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Et Paul résume en une phrase : « La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend par la parole du Christ. »
« Avoir la foi », selon le jugement unanime de la Torah et de Paul, c’est simplement entendre la Parole. Avoir la foi, la confiance, c’est se laisser dire une autre Parole que la mienne. Avoir la foi, c’est entendre avant de parler. Certes, nous avons des convictions, des certitudes, une « mission ». Nous sommes appelés à nous engager, à prendre la parole.

Pourtant, contrairement à ce que l’on pense souvent, il se pourrait bien que le plus important ne soit pas de prendre la parole, de « dire ». Non, le plus important et aussi le plus difficile, c’est de nous «laisser dire», d’entendre, c’est-à-dire de laisser s’inscrire en nous une Parole qui n’est pas la nôtre, mais qui doit prendre place au cœur de nous-mêmes. Me « laisser dire » : c’est cet acte-là qu’il me faut accomplir, toujours à nouveau, pour m’exposer à la difficulté ou différence d’une Parole qui n’est pas la mienne, qui me remet en question dans mes paroles et mes actes.

Je découvre alors que dans la famille étymologique du verbe ouïr, nous retrouvons tous les ingrédients d’une vie spirituelle à l’écoute d’un Dieu qui parle, qui résonne et qui nous appelle : il faut d’abord une parole audible, un lieu ou l’on parle clairement et agréablement. Puis, il faut ces temps d’audience, des moments réservés où l’on veuille bien écouter et s’écouter ; il faut parfois un audit, une évaluation de l’écoute, pour vérifier si l’on respecte les bonnes conditions pour pouvoir s’entendre ; ensuite, il nous faut d’autres auditeurs, qui nous aident avec leur expérience à apprendre à écouter ; car il est plus facile d’écouter dans la communion d’un grand auditoire, comme un temple ou une église, qui nous évitent à réinventer sans cesse l’écoute. Notre auditoire nous transmet aussi une longue tradition d’écoute. Nous devons ensuite nous préparer à entendre parfois des messages inouïs, qui mettent en question ma stricte obédience, et qui permettent toutefois de revenir à la simplicité d’une écoute sans idées reçues et sans dogmatisme. Ainsi, l’obéissance de l’écoute consiste d’une certaine façon à me fier au ouï-dires de Dieu.

La foi en tant qu’écoute est conçue comme relation ; elle est la confiance qui m’est transmise parce que Dieu croit en moi, sachant qu’il me confie le monde pour le meilleur et pour le pire, qu’il vient à ma rencontre par le plus faible de mes prochains. Le plus important est alors de ne pas imposer mes croyances (ou non-croyances) à la foi que Dieu met en moi. C’est d’ailleurs par ce retournement de l’idée que les chrétiens se font de la foi chrétienne que la Réforme protestante reste toujours d’actualité : ce qui nous touche dans la foi, ce n’est pas qu’un homme puisse croire en Dieu, mais que, en lui adressant la Parole, Dieu puisse croire en l’homme. Amen.