dimanche 10 février 2013

Isaac et le toucher

- Genèse 27, 1 à 27 -

(un coussin parle) 
Avouez-le : vous pensez qu'il s'est fait rouler, mon brave Isaac ! Vous pensez qu'il s'est fait avoir par son fils Jacob, et par sa femme Rébecca, n'est-ce pas vrai ?
Vous croyez qu'il aurait mieux fait de suivre son oreille que de croire en ce qu'il pouvait toucher… « c'est le toucher qui l'a trompé » ? Vous avez tout faux.










Moi, le coussin d’Isaac, je vais vous dire : en touchant les bras et le cou de Jacob couverts de la peau des chevreaux, c'était peut-être la première fois de sa vie qu'Isaac était lui-même touché par la voix secrète de Dieu... Croyez-moi, je m'y connais avec Isaac : il s'est reposé pendant toute sa vie sur moi. Je pense même qu'il y a eu des périodes où le seul être qu'il touchait et caressait, et qui le touchait et caressait, c'était moi, son coussin.

Isaac a toujours eu besoin de moi. Déjà petit, sa mère Sarah m'avait offert à lui, un coussin fait de laine et rempli de plumes ; je me souviens encore de son rire quand elle disait que moi, le coussin, je serais un peu plus propre au toucher que toutes ces peaux d'animaux qu'Isaac trimballait. Vous savez sans doute qu'un coussin de plumes, à l'époque d'Isaac, représentait un luxe assez exquis !

Les Hébreux ne connaissaient pas l'élevage de poules, mais les montagnes de Judée étaient peuplées de perdrix dont le plumage était fort apprécié. Certes, il y avait les sacs de paille : mais à la longue et dans l'âge, qu'est-ce qui est plus agréable qu'un bon coussin de plumes pour maintenir sa tête et son dos fatigué, en étant allongé...

Même si Isaac aimait la douceur des plumes dans son coussin, je l'ai toujours soupçonné de préférer de caresser des peaux d'animaux… c'est peut-être pour cela qu'il ne donnait sa bénédiction qu'à condition d'un toucher de chevreaux ?

De toute façon, le toucher dans la vie d'Isaac, ça n'a pas toujours été facile. Vous savez, un enfant unique, et qui plus est, un enfant « par qui viendra ce qui sera appelé la descendance d'Abraham » : cela signifie pas mal de pression. Mais ses parents caressaient le petit Isaac avec une tendresse que ne connaissent que les parents tardifs. Seulement quand Abraham -qui avait quand même cent ans à la naissance de son fils !- procédait à la première circoncision selon les règles de l'art, auprès d'Isaac, vous imaginez eu peu comment le petit garçon a hurlé ! Pour être ainsi touché, ce n'était pas évident. 

Alors, quand Dieu a dit à Abraham : « Prends ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t'en au pays de Moriya et là, offre-le en holocauste », le petit Isaac était déjà prévenu que son père n'hésitait pas à le toucher d'une bien curieuse manière quand Dieu l'avait ordonné. Isaac m'a d'ailleurs pris sur la route, pour être mieux assis sur l'âne, avec lequel ils étaient partis de bon matin. Isaac m'a même utilisé pour transporter sur ses épaules le bois pour l'holocauste, qui était lourd. Et quand Abraham a ligoté Isaac pour le mettre sur l'autel, il me lui a laissé, pour que Isaac ne se fasse pas mal sur le bois.

Heureusement, Abraham n'a finalement pas touché à Isaac, mais à un bélier dont Isaac -vous imaginez bien- a gardé la peau velue pour le restant de ses jours.

Puis, dans la vie d'Isaac, il y a cette première rencontre avec Rébecca, sa seule épouse. Fallait déjà accepter que ce fût le serviteur de son père qui allait la choisir dans la patrie de ce dernier, selon les indications de Dieu ! Mais quand en plus, Rébecca se couvre d'un voile en voyant son futur époux, pour qu'Isaac ne puisse la voir et la toucher seulement dans la tente de Sara, sa mère défunte, c'est aussi une façon de dire : ne me touche pas trop facilement.
Pourtant, Isaac a aimé Rébecca qui l'a bien consolé après la perte de sa mère.

Avec Rébecca, ce n'était pas toujours facile non plus. Qu'est-ce que Isaac a pleuré et prié sur son coussin pour intercéder auprès du SEIGNEUR en faveur de sa femme ! Il paraît qu'elle était stérile, et malgré toutes les caresses d'Isaac (je peux vous dire qu'il était un homme très tendre), aucune descendance ne s'annonçait.

Seulement après beaucoup de pleurs et de prières, le SEIGNEUR se laissa fléchir. Rébecca était enfin tombée enceinte !

Pendant la grossesse de Rébecca, Isaac était heureux, mais très fatigué. Après toutes les nuits où il avait prié, il dormait maintenant comme une pierre. Qu'est-ce que sa tête était lourde ! Il rêvait probablement de sa descendance tant espérée... Du coup, il a raté une des promesses de Dieu les plus importantes concernant l'avenir de ses enfants : Isaac a dormi quand les deux bébés, le futur Esaü et le futur Jacob, se heurtaient dans le ventre de Rébecca. Je l'entends encore quand elle a crié en pleine nuit : pourquoi cela m'arrive-t-il ? Pendant que son mari dormait, elle a consulté le SEIGNEUR qui lui a dit :
 Deux nations sont dans ton ventre, 
deux peuples se sépareront au sortir de ton sein ; 
un de ces peuples sera plus fort que l'autre,
 et le grand servira le petit. 


Vous voyez donc qu'au terme de sa grossesse, quand les jumeaux sont sortis de son ventre, Rébecca savait déjà ce qu'allait arriver au premier qui sortit, entièrement roux, comme un manteau de poil (c'est pour cela qu'on l'appela du nom d'Esaü, le poilu), et à son frère, dont la main tenait le talon d'Esaü que l'on appela du nom de Jacob (celui qui talonne).



Mais Isaac ne le savait pas, tout cela ; il aimait Esaü, parce qu'il appréciait les bêtes et le gibier, parce qu'il voyait qu'il avait besoin d'un successeur solide dans sa ferme ; seulement Rébecca, elle, aimait Jacob, parce qu'elle savait que Dieu l'avait choisi pour être le père de ses petits-enfants… que vous êtes, avec tout Israël, mes chers amis !

Et je ne peux même pas reprocher à Isaac qu'il préférait Esaü, le gars qui savait bosser sur la ferme, parce que son entreprise marchait très bien, Isaac a semé dans le pays et il a récolté au centuple : le SEIGNEUR l'a béni, il pensait qu'il allait forcément bénir Esaü.

C'est pourquoi il n'est pas juste de dire que Isaac s'est fait rouler par Jacob et Rébecca ! C'est pour cela, surtout, qu'il a bien fait de ne pas suivre son oreille, mais de croire pour une fois en ce qu'il pouvait toucher… car en l'occurrence, ce n'est pas le toucher qui trompe, mais son ignorance par rapport à l'avenir de Dieu avec sa descendance. Je vous dis alors : c'est en touchant les bras et le cou de Jacob couverts de la peau des chevreaux, que pour la première fois de sa vie Isaac était lui-même touché par la voix secrète de Dieu…

Isaac entend la voix de Jacob, mais il donne sa préférence au toucher, ce vrai-faux toucher qui rend obsolète sa voix intérieure qui voudrait qu'Esaü prenne sa succession.

C'est cela qui est curieux avec le toucher : ça fait tellement du bien, ça nous permet d'entendre une toute autre voix que celle que captent les oreilles, que même quand la peau que l'on touche n'est qu'un vêtement, nous arrivons à en vivre et à prononcer des bénédictions !

Il est vrai pourtant qu'Isaac a beaucoup pleuré dans mon sein, dans son coussin, parce qu'il se sentait trompé. Mais c'est bien lui qui s'est trompé; il s'est trompé de voix, pas de toucher ! Il a confondu sa voix intérieure avec la voix de Dieu, et il fallait toute cette mise en scène pour lui permettre, par le vrai-faux toucher de Jacob, de se ranger à la promesse de Dieu.

Moi, je ne peux que vous redire : pour entendre Dieu, il faut aussi toucher ceux qu'il a choisis comme ses enfants. Même si cela se fait dans des vêtements qui masquent, qui sont parfois un déguisement: Dieu arrive à nous montrer aussi à travers le toucher ceux qui sont de nos compagnons d’avenir, notre famille spirituelle. Car dans une famille sans caresses, il n'est pas bon d'être enfant ou adulte, comme il n'est pas bon d'y être un coussin… Amen.