dimanche 14 avril 2013

La femme, première vivante

Bilingue allemand-français / Visite de la paroisse de la Johanneskirche d'Ettlingen
- Genèse 3, 1 à 7 -

C’est avec Havva, la Vivante, que l’humanité commence à rêver de son avenir. Elle explore le vivant, elle apprend à parler à l’intérieur de ce monde, dans les limites de la raison. Elle accepte la responsabilité de la vie humaine, qui consiste à ouvrir les yeux, à être comme des dieux, à connaître ce qui est bon ou mauvais, et à en mourir...


An einem schönen Tag im Paradies ruft Eva nach dem lieben Gott.
"Herr, ich habe ein Problem!"
"Was ist Dein Problem, Eva?"
"Herr, ich weiß, Du hast diesen herrlichen Garten für mich geschaffen, mit diesen wunderschönen Tieren und der lustigen Schlange, aber ich bin nicht glücklich!"
"Warum bist Du unglücklich, Eva?" fragt Gott.
"Herr, ich bin einsam. Außerdem kann ich keine Äpfel mehr sehen."
"Gut, Eva, in diesem Fall habe ich eine Lösung. Ich werde Dir einen Mann erschaffen."
"Was ist ein Mann, Herr?", fragt Eva.
"Ein Mann ist so eine Beta-Version von Mensch, eine  Kreatur mit aggressiven Tendenzen, mit einem ausgeprägtem Egoismus und der Unfähigkeit, sich einzufühlen oder Dir zuzuhören. Andererseits ist er größer, schneller und muskulöser als Du: er ist ein ausgezeichneter Kämpfer, kann hervorragend Fußball spielen und ist außerdem ein geschickter Jäger."
"Na, das klingt ja gar nicht sooo schlecht," sagt Eva.
"OK, sagt Gott, aber Du kannst ihn nur unter einer Bedingung haben!"
"Und wie wäre die, Herr?"
"Du musst ihm den Glauben lassen, er sei der erste Mensch und die Krone der Schöpfung…"

Sans blague : c’est en effet avec la femme que la vie humaine commence, dans le livre de la Genèse.

Certes, c’est Dieu qui donne la vie avant même que les deux humains exemplaires que sont l’homme et la femme ne se mettent à l’oeuvre. Et c’est l’homme qui bourdonne, dans notre lecture, la fameuse phrase par laquelle il a accepté, une fois pour toutes, notre joug matrimonial “C’est l’os de mes os, la chair de ma chair”...

Mais d’après ce récit biblique qui nous sort du monde des évidences pour nous introduire dans le monde du sens, c’est la femme qui est la première à explorer le vivant, qui est la première à parler à l’intérieur de ce monde, dans les limites de la raison, en discutant avec un être intélligent que le texte biblique appelle “le serpent” ! C’est la femme qui accepte ainsi la responsabilité de la vie humaine, une vie qui consiste - d’après le “serpent” qui le dit parfaitement juste - à ouvrir ses yeux, à être comme des dieux, à connaître ce qui est bon ou mauvais, et à en mourir. -

Der Witz von Eva und Gott enthält eine Wahrheit:  dem Buch Genesis zufolge beginnt die Geschichte des Menschsein tatsächlich mit jener Frau, die ins Weltgeschehen eingreift.
Es zwar Gott, der das Leben schenkt, und es ist die männliche Kreatur, die den berühmten Satz spricht "Das ist Bein von meinem Bein und Fleisch von meinem Fleisch", mit der menschliches Zweisein ein für allemal seine Richtung erhalten
hat.
Aber die Erzählung, die uns aus der Welt des Faktischen in die Welt der Sinnsuche führt, stellt die weibliche Kreatur als jene dar, die sich auf den Weg zum eigentlich Menschlichen macht, die die Grenzen der Welt an den Grenzen der Sprache zu erforschen beginnt, als sie mit dem offenbar einzigen intelligenten Partner spricht, den der Text eine "Schlange" nennt. Es ist in der Tat die Frau, die die Verantwortung für das Menschsein übernimmt, eine Verantwortung, die -laut Schlange- darin besteht, die Augen aufzutun, zu sein wie Gott, zu wissen, was gut und böse ist - und daran zu sterben. -

C’est avec la femme que commence cette vie qui est pour toujours la nôtre. Et c’est pourquoi l’homme appela la femme un peu plus tard, dans le texte, du nom de “Havva”, “la Vivante, car elle est devenue la mère de tous les vivants”, mère de tous ceux qui se posent des questions sur la vie.

Malheureusement, dans notre langage biblique, nous avons la fâcheuse habitude d’épeler ce “nom qui fait sens” comme un banal prénom, “Eve”. Et pire encore, dans notre dogmatique chrétienne, c’est à travers cette “Eve” que la vie aurait prétendument été gâchée par ce que nous appelons “le péché”.

Mais, chers amis, il me semble vivement urgentissime de réhabiliter la femme Havva, la Vivante, et le “serpent” avec elle ! Car c’est la femme qui, selon notre lectute, “vit que l’arbre était bon pour la nourriture et plaisant pour la vue, qu’il était, cet arbre, désirable pour le discernement”.

Ce n’est que grâce à elle que l’humanité sort d’un état de grâce sans beauté ni désir - et sans rien à se mettre sous la dent, par ailleurs -, un état que l’on qualifiérait plutôt d’un calme où les neurones se ramollissent, où l’on doit se sentir vite un peu rapapla. J’ose d’ailleurs à peine mettre en relief la triste figure que fait le genre masculin dans ce récit - Monsieur Adam semble mater, tout ramollo, ce qui se passe !
Là encore, soyons heureux que la femme s’active - et il me semble que c’est une mission toujours en cours auprès des mâles un peu flagadas que nous sommes, Messieurs. Car ce paradis ramollo ne correspond pas au rêve d’une humanité active que la femme Havva représente ; une existence sans les joies et les peines du discernement ne correspond sans doute pas au rêve de Dieu d’une vie d’avenir.

C'est ainsi par la figure agissante de Havva que nous sommes invités, en ce dimanche de la Miséricorde, à reconsidérer notre relation à Dieu. Elle est en effet la clé de notre compréhension de nous-mêmes, et de notre compréhension de ce que nous appelons le péché. -

Das eigentlich Menschliche, das unser aller Leben ausmacht, wird erst mit der weiblichen Figur der Schöpfungserzählung thematisch. Deshalb ruft der Mann, etwas weiter im Text, seine Frau "Havva", die Lebendige, "Mutter aller, die da leben", Mutter aller, die das Leben als eine Aufgabe verstehen und es wagen, die grossen Fragen des Lebens zu stellen.

Leider ist diese wichtige Bedeutung des Namens der weiblichen Figur in unseren christlich-biblischen Sprechgewohnheiten untergegangen. Wir übersetzen "Havva", die Lebendige, in einen banalen Vornamen, Eva, und schreiben überdies dieser Eva den sogenannten Sündenfall zu, mit dem das Menschsein seine Reinheit verloren hätte.

Aber das, liebe Gemeinde, ist eine Denkgewohnheit, von der wir uns schnellstmöglich lösen sollten! Wir sollten Havva, die Lebendige -und mit ihr die Schlange- zu der Ehre verhelfen, die ihnen gebührt: es ist in der Tat die Frau, die erkennt, dass "von dem Baum gut zu essen wäre und dass er eine Lust für die Augen wäre und verlockend, weil er klug machte".
Damit erst wird es möglich, das Menschsein aus einer Art Traumzustand ohne Schönes und Gutes in die Wirklichkeit der Welt zu versetzen, in eine Wirklichkeit, die die männliche Kreatur offenbar nicht zu erkennen in der Lage ist. Es ist schon fast peinlich, sich den flauen Adam, der weder Schönes noch Gutes zu erkennen sucht, als pure und reine Krone der Schöpfung und der Menschheit vorzustellen - ist das wirklich, meine Herren,  unser immerwährendes Ideal?

Dieses flaue Männerparadies entspricht sicher nicht dem Traum Gottes von einer verantwortlichen Menschheit. Erst mit Havva, der Lebendigen, wird die Erkenntnis des Schönen und Guten das Grundthema menschlicher Existenz. Insofern ist es gerade diese Figur, die uns am heutigen Sonntag Misericordias Domini auf die Frage verweist, wie wir als verantwortliche Menschen dem gütigen Gott begegnen, und von welcher Sünde unser Leben eigentlich geprägt ist. -

Je vous invite donc tous ce matin, mâles ou femelles, à laisser de côté pour une fois tous les vieux jugements dogmatiques sur ce texte, et à le réentendre avec les fraîches oreilles du matin de Pâques : à le relire non pas comme un récit de péché - car le texte ne connaît même pas ce terme ! - mais comme un récit qui évoque le rêve de l’avenir au matin de l’humanité. Je vous promets qu’en rafraîchissant ainsi votre écoute, vous gôuterez - peut-être pas au fruit de l’arbre du discernement - mais à la fraîcheur de Pâques, qui veut nous apprendre à recommencer une vie humaine tous les matins.

Nous disions que selon Genèse 3, c’est avec Havva, la Vivante, que l’humanité commence à rêver de son avenir. Elle explore le vivant, elle apprend à parler à l’intérieur de ce monde, dans les limites de la raison. Elle accepte la responsabilité de la vie humaine, de notre vie qui consiste à ouvrir les yeux, à être comme des dieux, à connaître ce qui est bon ou mauvais, et à en mourir.

Or, ce rêve de l’avenir, établi dès le matin de l’humanité, il nous faut le recommencer chaque matin. Recommencer la vie tous les matins ? Ca sonne déjà fatiguant ! Moi, humble fils d’Adam le ramollo, cela me fait peur. C’est comme dans la cuisine : une fois quand on a finalement terminé la vaisselle, quand on a réussi à enlever toute la graisse, tout est nettoyé, toutes les 36000 boîtes Tupperware sont enfin rangées… et on aurait envie de ne manger que du yaourt pour le restant de la semaine, juste pour ne pas re-salir les assiettes et les casserolles !

Mais il faut recommencer, tous les matins, les midis, les soirs… il faut resalir la vaisselle. Avec les bébés, c’est encore pire : curieusement, dès qu’on a changé la couche, c’est reparti de plus belle, et tout de suite ! Il faut tout recommencer. Il nous faut trouver la force, constamment, de recommencer toutes ces petites choses - et les grandes ! - dont notre vie est faite, et qui nous rappellent parfois crûment que tout ici-bas n’est que provisoire, transitoire… Toute notre vie ne se vit qu’en attendant autre chose. -

Wir können diesen Ur-Text vom Menschsein aus dem Buch Genesis heute einmal anders hören: Nicht als das dogmatische Urteil vom Sündenfall, sondern als Geschichte, in der Havva, die Lebendige, für uns alle von einer verantwortlichen Zukunft träumt und sich mit uns auf den Weg zum eigentlich Menschlichen macht, indem sie die Grenzen der Welt an den Grenzen der Sprache zu erforschen beginnt.  Dieses Leben besteht in der Tat darin, die Augen aufzutun, zu sein wie Gott, zu wissen, was gut und böse ist, und daran zu sterben.

Doch diesen Traum von unserer Zukunft müssen wir selbst träumen, jeden Morgen neu. Das klingt anstrengend, gerade für mich als flauen Adamssohn!
Aber die Wirklichkeit menschlicher Existenz besteht nun einmal darin, auch mit dem Menschsein immer neu anfangen zu lernen, so wie es in der Küche nach dem Abspülen ja auch wieder darum geht, alle Töpfe und Tupperschüsseln mit Sossen und Suppen zu befüllen.

Wir können es lernen, diese Kraft zum Immer-wieder-anfangen zu finden, wenn sie uns die Vorläufigkeit unseres Daseins auch manchmal schmerzhaft in Erinnerung ruft. Unser Leben besteht daran, immer wieder anzufangen, mit der Hilfe des Gottes, der uns Vertrauen schenkt, wie wir es nicht selber herstellen können. -

Nous vivons une époque où rêver à son avenir, penser à l’avenir de l’humanité est devenue un défi laborieux. Explorer le vivant aujourd’hui nous apprend toujours davantage sur les limites de notre raison, mais nous donne toujours moins de certitudes sur l’avenir que nous laisserons à nos enfants. La responsabilité de la vie humaine, nous la vivons comme le parcours du combattant : ouvrir ses yeux, être comme des dieux, connaître ce qui est bon ou mauvais, en mourir.

Et quand je dis “rêver à l’avenir, penser à l’avenir de l’humanité”, je ne parle pas seulement des grands esprits et des prix de Nobel. Je parle de chacun de nous, qui tous les matins doit relever ce défi : recommencer la vie, prendre ses responsabilités, se motiver pour le travail, ouvrir ses yeux sur une journée grise, être fort comme un dieu, connaître et choisir ce qui est bon ou mauvais, savoir que nous allons en mourir.

Vous connaissez peut-être des stratégies de motivation, même certainement, mieux que moi. Il paraît que la motivation, ça se paie cher. Prenez l’exemple d’un des nouveaux métiers dans notre société d’affamés de motivation : le métier du mentor (non pas : menteur !), en français courant le “coach”. C’est un type que vous payez 250 Euros l’heure pour qu’il vous donne des conseils, pour retrouver votre motivation. Un tel conseil de coach est par exemple de se dire, tous les matins (pour vous, c'est gratuit) : JE SUIS BON, JE SUIS BEAU, J’AI CONFIANCE EN MOI - à haute voix, devant la glace !

Je ne sais pas si vous pratiquez cela ; moi, quand je suis devant la glace, le matin, dans une chemise brune-sombre, un pantalon gris-kaki et une cravate jaune-verte, j’ai beau me dire “Tu es magnifique”, dès que je croise ma femme qui va s’écrier “Mais qu’est-ce que t’a encore mis !”, je suis plutôt démotivé !

Ce qui nous permet en vérité de trouver la motivation pour recommencer la vie chaque matin, pour ouvrir nos yeux, regarder l’avenir en face, être conscients comme des dieux, connaître ce qui est bon ou mauvais, et accepter que nous allons en mourir, cela doit venir d’un autre que nous-mêmes. Entendre, pour affronter la vie, cette parole “J’AI CONFIANCE EN TOI”, ce n’est motivant que si cela vient de quelqu’un qui me connaît mieux que je ne me connaisse moi-même.

C’est à cela que Dieu rêve dans notre vie, c’est pour cela qu’il s'est identifié à un homme qui est mort, pour être avec nous… Ainsi, il nous réveille et nous relève ! On peut y aller, et recommencer la vie tous les matins. AMEN.