dimanche 9 décembre 2012

Joseph, mari d'une femme élue

- Matthieu 1, 15-16.18-25 -

Soyons francs, chers amis : on a tous rêvé - ou on rêve toujours - de vivre dans un couple parfait. Un couple harmonieux, inséparable, uni, fidèle, passionnant, tendre, durable, admiré... Et puis voilà, on constate que les relations amoureuses ne sont pas constamment un chemin bordé de roses. Certains disent du coup que la vie en couple, ce ne sont que des crises et des résolutions de crise. En effet, nous ne saurons oublier que nous ne sommes jamais au même diapason que notre partenaire. Alors, il doit bien y avoir une recette magique pour que ça tienne ! Mais quand nous nous retrouvons avec ces couples au long cours qui se tiennent encore la main après une vie entière passée côte à côte, devant nos interrogations – « Comment faites-vous ? » –, eux nous répondent avec un soupir :
« Comme on peut »...

Nous cherchons quand même un mode d’emploi ? Les psys, notamment, nous l’ont fourni. Un couple qui dure, nous ont-ils expliqué, passe par quatre étapes : la fusion, la différenciation, l’exploration, l’association. Et entre chaque «…ion », le spectre de la séparation. De ces concepts, nous avons fait des normes. Comme dans les jeux vidéo, un moment d’inattention et, hop ! nous sommes morts. Ensuite, libre à nous d’essayer encore avec un nouveau partenaire. D’ailleurs, ça tombe bien, le monde entier ne cesse de nous pousser au zapping. « Inutile de tenir au premier venu si le deuxième est fait pour vous », assure ainsi la publicité d’un site de rencontres. De cet amalgame entre concepts psy mal compris – mais soigneusement entretenus – et idéal du « nous » qui confond couple et jouissance permanente, des idées reçues ont formé un semblant de savoir-vivre en couple, plus nocif qu’il n’y semble.

La lecture biblique de ce matin nous propose de jeter un regard par le trou de la serrure chez M. et Mme Joseph de Nazareth. Or, pour un couple modèle, voici que des crises ! Ca commence déjà très mal : à peine fiancés, la séparation est déjà dans les tuyaux. Il paraît que Joseph ait du mal à se souvenir de l'intensité de leur première rencontre : Marie se trouve en tous cas enceinte avant les festivités officielles. Il fut un temps où ça, il fallait à tout prix éviter ! Joseph se résout donc à une solution dont on ne comprend pas très bien le bon sens : au lieu de dénoncer Marie publiquement, il lui propose de la répudier en secret. Ca, c'est bien une façon masculine de réfléchir ! Joseph tente de sauver non pas son couple, ni l'enfant, mais son image publique, sa réputation. Le fait que Marie, exclue de la société, allait ainsi se retrouver seule avec l'enfant, n'est pas un critère essentiel dans son calcul.

C'est donc l'enfant qui sépare le couple. Tiens, ça sonne pas si étrange à nos oreilles non plus. A notre époque, ça s'appelle un "baby clash". Ce n'est donc pas si nouveau...
Chez M. et Mme Joseph aussi, l’arrivée d’un enfant provoque une crise au sein de la relation du couple.

Mais avant de revenir à la figure, d'emblée pas très sympathique, de Joseph, je ne veux pas tourner autour du pot : A la fameuse question de la "conception virginale" de Marie, je n'ai pas de réponse particulièrement astucieuse à vous proposer. Je constate d'abord que le récit de Matthieu présente bien Joseph comme le père de l'enfant, dans la généalogie qui ouvre son livre, même si c'est dit dans une formule un peu alambiquée : "Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus". Mais dans une généalogie biblique, on indique bien le père, le grand-père, l'arrière-grand, etc., c'est ainsi que ça fonctionne. Nous comprenons donc : Joseph est bien le père de Jésus.

C'est ensuite que les choses se compliquent. Nous entrons dans un récit qui ne s'intéresse guère à la relation conjugale de Joseph et de Marie, mais à la relation du lecteur biblique à la figure de Jésus-Christ. La visée de Matthieu est de communiquer à ses lecteurs, par référence à la Bible hébraïque, que l'enfant dont il est question, est le sauveur évoqué dans les livres des prophètes, "celui qu'on appelle le Christ".

Matthieu va donc tirer tous les registres de la lecture créative des prophètes : coup par coup, les annonces prophétiques s'accomplissent, et créent ainsi la figure littéraire, biblique, théologique, du Sauveur. Dans ce schéma, il fallait bien que Joseph et Marie fassent plus tard un tour par l'Egypte, parce que le prophète Osée avait transmis ce rêve de Dieu : "D’Egypte j’ai appelé mon fils." Auparavant, il fallait bien que les trois mages de l'Orient soient guidé par l'étoile brillante, puisque le livre des Nombres avait annoncé : "Un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël." Il fallait bien que tout cela se passe dans le petit bled de Bethléem, parce que le prophète Michée avait annoncé : "Et toi, Bethléem, terre de Juda, de toi sortira un dirigeant qui fera paître Israël, mon peuple."

Et, finalement, ou premièrement, il fallait bien que cet enfant naisse d'une vierge, car, dans la traduction greque du livre du prophète Esaïe, il est dit : "Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : la jeune fille vierge est enceinte, elle mettra au monde un fils et l’appellera du nom d’Immanou-El («Dieu est avec nous»).

Nous sommes donc dans un récit qui répond à une histoire de prophéties, d’espérance d’un avenir avec Dieu. Matthieu nous dit : C’est bien avec cet enfant que votre avenir avec Dieu a recommencé - conformément aux prophètes, il est né d’une vierge à Bethléem, surplombé d’une étoile, fuyant à et revenant finalement d’Egypte.

On ne peut donc pas dire que tous ces récits sont simplement inventés. Ils sont écrits dans une logique autre que celle de la biologie ; ils racontent une théologie. Dans cette théologie de Matthieu, Jésus est le fils de Dieu, né de la vierge Marie. En même temps, dans une perspective plus matérielle, il est bien le fils de Joseph.

Justement, revenons à peu à celui-là, avec sa fiancée Marie. La crise de leur couple semble donc assumée, c’est fini. C’est alors qu’une «solution» apparaît qui, encore, montre que l’amour de Dieu est plus grand que le malheur des hommes.
Comme Joseph se résout à se séparer de Marie, «l’ange du Seigneur lui apparut en rêve» et lui annonce cet l’enfant particulier qui s’appelle «Dieu avec nous». «A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui. Mais il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus.» La sensibilité de Joseph, sa disponibilité pour cette voix venant d’ailleurs, et qui est plus forte que sa voix intérieure, a sauvé le couple.

Avec Joseph, nous apprenons ainsi qu’il faut comprendre une « crise » dans un couple (ou ailleurs) non seulement comme ce qui définit la période qui sépare deux périodes d’équilibre, mais comme l’occasion de trouver un nouveau sens à l’avenir commun. Dans un couple, il faut accepter qu’avec un enfant, la relation ne sera plus la même. La mère développe cette connaissance de son enfant au point de comprendre ses besoins alors qu’il a peu de moyens de les exprimer. Le père, petit à petit, prendra conscience que la naissance est un des rares événements vraiment irréversibles dans son existence.

Il est bon de se souvenir pendant le temps de l’Avent que ce n’est pas nous qui faisons notre avenir, ainsi que nous ne « faisons » pas les enfants, comme on dit si légèrement. Avec Joseph, nous comprenons au contraire qu’à l’instar de l’enfant qui peut construire le couple, l’enfant Jésus et son histoire prophétique construit pour nous un avenir qui nous rappelle une fois pour toutes que l’amour de Dieu sera, quoi qu’il arrive, plus grand que le malheur des hommes. Amen.