mardi 25 décembre 2012

Noël, le "second life" de Dieu

- Esaïe, chap. 45, vv 5 à 13 -

J'aimerais commercer par vos raconter une anti-histoire de Noël. C’est l’histoire de David et Amy, deux Anglais qui cherchaient… une nouvelle vie peut-être ? Dans leur recherche tout à fait réelle, ils se sont rencontrés virtuellement, sur Internet, dans un “chatroom” - un site où l’on échange des messages sans se voir et sans savoir qui est l’autre réellement. Or, David et Amy ont eu “le déclic” - et ils ont voulu se rencontrer dans la réalité. Dans la réalité, ils sont même allés jusqu’à se marier ; mais leur recherche d’une autre vie n’était pas pour autant terminée, recherche que chacun poursuivait toujours seul devant son ordinateur, comme c’est le cas aujourd’hui dans beaucoup des familles.

Et c’est là que l’histoire de David et Amy devient un peu rocambolesque. Car nos deux amis avaient découvert un jeu sur Internet qui est devenu, depuis 2003, un des lieux les plus populaires du monde virtuel avec 24 millions d’abonnés. Ce jeu s’appelle SECOND LIFE - ce qui dit tout de l’intérêt que les joueurs y trouvent : une seconde vie, virtuelle, une nouvelle vie sans les limites du monde matériel. Dans SECOND LIFE, chaque joueur crée son personnage virtuel que l’on appelle un “avatar”. C’est à travers cet avatar qu’il vit dans le monde virtuel, et qu’il peut visiter des villes virtuelles, construire sa maison de rêve, rencontrer d’autres avatars, discuter avec eux, prendre des cours de langue, etc - vous imaginez qu’il y a là des possibilités qu’on n’imagine même pas.

David et Amy, qui étaient toujours mariés réellement -et qui vivaient donc dans un même appartement, chacun devant son ordinateur- se construisaient une vie virtuelle dans SECOND LIFE, et s’y fréquentaient. Cela nous en dit aussi long sur leur vie réelle… Dans SECOND LIFE, l’avatar de David était propriétaire d'un club de nuit, qui se déplaçait dans un hélicoptère lourdement armé ; Amy était animatrice de boite de nuit. (Le journal qui a raconté leur histoire réelle précisait -un peu méchamment- qu’en réalité, les deux étaient au chômage).

Toujours est-il que le vrai David et la vraie Amy commençaient à avoir de vrais problèmes quand l’avatar de David prenait l’habitude de sortir virtuellement avec d’autres personnages virtuels - ce qui veut dire qu’il y passait réellement ses journées et ses soirées, devant l’ordinateur. Finalement, l’avatar de David s’est fiancé virtuellement avec un joli avatar féminin sur SECOND LIFE - et il a divorcé de la vraie Amy. David prétendait alors être fiancé avec la vraie personne derrière le joli avatar qu’il fréquentait, une femme qu’il n’a jamais rencontré réellement puisqu’elle vit à quelques milliers de vrais kilomètres, à l’autre bout du monde.

Quel rapport cette histoire réelle -mais bien virtuelle- peut-elle avoir avec un Dieu qui vient au monde ? Qui nous invite non pas à fuir dans un monde virtuel, mais à revenir constamment sur terre, selon le livre du prophète Esaïe?

Eh bien, Quand j’ai lu ce texte, j’ai cru y trouver, dans un premier temps, le récit d’un Dieu semble vouloir commander un avatar, son représentant dans un monde qu’il regarde d’en haut :

Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, je fais la paix et je crée le malheur ; c'est moi, le SEIGNEUR, qui fais tout cela. (…)
C'est moi qui ai fait la terre et qui sur elle ai créé l'homme ; ce sont mes propres mains qui ont déployé le ciel, et c'est moi qui commande toute son armée.

Dans les récits de la naissance de Jésus, cette idée d’un Dieu qui commande une espèce d’avatar semble être incontournable : C’est lui qui crée de toutes pièces l’humain Jésus, c’est lui qui commande à Marie, c’est lui qui explique à Joseph comment s’y prendre, c’est lui qui dirige les étoiles et les sages de l’Orient etc.

Si c’est cela le projet de Dieu, l’histoire de Noël ne semble que prolonger et déployer l’idée d’un Dieu inaltérable, immuable, inusable, que la philosophie appela le ‘premier moteur immobile’, ou ‘cause première’, ou ‘l'absolu’. C’est ce que l’humanité, aussi à travers la spiritualité hébraïque, a lentement sécrétée, distillée et élaborée : Je suis le SEIGNEUR, et il n'y en a pas d'autre, à part moi il n'y a pas de Dieu ; (…) en dehors de moi il n'y a que néant : je suis le SEIGNEUR, et il n'y en a pas d'autre.

Tout cela est une magnifique confession de foi - aussi longtemps que Jésus n’est qu’un avatar. Si Jésus n’était qu’un personnage “télécommandé” dans un jeu divin que Dieu s’est crée, 2000 ans avant l’invention de SECOND LIFE, nous pourrions rester avec notre Dieu ou Anti-Dieu immobile, continuer à le craindre un peu de temps en temps, et l’aimer un peu de temps en temps, et l’ignorer la plupart du temps.

Or ce que nous savons par la suite de l’histoire de Jésus, c’est qu’il n’était pas un avatar.

Les Evangiles nous racontent l’histoire d’un homme qui a été tout autre chose qu’un jeu virtuel. Le Nouveau Testament, malgré son profond enracinement dans la spiritualité hébraïque, témoigne au-delà des histoires de Noël d’une nouvelle vie de Dieu qui vient au monde - non pas comme par un avatar télécommandé et quasi-virtuel. Un Dieu qui vient réellement au monde. Un Dieu qui vit lui-même une conversion.

En Jésus et dans l’Eglise, Dieu a réellement commencé une seconde vie, une vie où les vieilles paroles comme “Je suis le SEIGNEUR, et il n'y en a pas d'autre” etc ne changent pas grand chose à la réalité. Ce monde où Jésus a vécu, le monde où nous sommes ses disciples, ce n’est pas un monde à la SECOND LIFE, où la divine gravité reste inaltéré : c’est un monde où l’on souffre, où l’on pleure, où l’on meurt. La seconde vie de Dieu est donc une vie où Dieu souffre, où il pleure, où il meurt lui-même.

Noël comme une histoire réelle a donc un effet radical sur notre image de Dieu : Il est toujours le SEIGNEUR, mais il y en a bien un autre maintenant : Nous connaissons Jésus, l’autre de Dieu.

A travers l’histoire de Jésus, nous réalisons que Dieu a adopté une “deuxième vie” avec les hommes : il ne nous est plus salutaire de l’approcher à priori comme “maître du jeu”, le “grand joueur” qui affirme : Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, je fais la paix et je crée le malheur ...

Dieu a réellement commencé une seconde vie à travers Jésus. Dans cette seconde vie, il a changé radicalement de perspective : il regarde le monde et ses enfants non plus d’en haut, comme un joueur de SECOND LIFE qui manipule son avatar.

Dans cette seconde vie, Dieu regarde le monde et ses enfants dans la perspective qui est la nôtre : enfermé, engagé dans une réalité où l’on doit accepter que les corps vieillissent, accepter que les relations humaines ne sont pas réductibles à quelques sms ou quelques bonheurs futiles, un monde où il faut assumer la personne que l’on est pour exister, où l’on ne peut pas garder son identité secrète et intacte quand on va à la rencontre d’autrui.

Dieu fait désormais partie de ce monde qui l’atteint, qui ne le laisse pas inchangé.

Frères et soeurs, en Jésus, et à travers l’histoire humaine de ceux qui le suivent, Dieu change. Son identité n’est plus comparable à celle d’un roi des destins, un ‘premier moteur immobile’, inaltérable, immuable, inusable ; il se connaît, il se fait connaître désormais tel qu’un enfant de ce monde, fragile et plein de questions.

Et en ce jour de Noël, nous pouvons justement nous interroger, en compagnie de ses amis et de ses détracteurs : Quel est l’avenir de ce Dieu qui se fait connaître par le plus fragile d’entre nous ?
Nous savons désormais qu’il ne saurait se téléguider sur son ordinateur au ciel. L’avenir de Dieu est entre nos mains et dans nos bouches, l’avenir de Dieu se joue, sans jeu de mots, dans notre réalité vraie ; non pas dans un SECOND LIFE spirituel et religieux, mais dans cette première et dernière vie qui nous est donnée. L’avenir de Dieu dépend maintenant de notre générosité, de notre créativité, de nos paroles d’amitié et d’intelligence.
Oui, Dieu vient au monde, là où nous méditons sa conversion à travers nos actes. Voici Noël, Amen.