dimanche 16 juin 2013

Pas de religion sans réforme

- Lecture biblique Michée 6, 1 à 6 - Jour de la "Rencontre avec les religions", place du Temple Neuf - en présence de "l'Arbre de vie habité par des oiseaux multicolores" -

Pour commencer, une histoire pour les enfants de tout âge...

"C’est dimanche, un beau dimanche plein de soleil. En ce début d’après-midi, les rues de la ville sont vides : les gens sont encore à table. Certains font peut-être une sieste bien méritée après la dure semaine de travail. Mais qu’est-ce donc que ces rires, ces bruits de voix, il y a même de la musique ? Cela vient d’un jardin, derrière une maison : sous les pommiers, une longue table est dressée, recouverte d’une nappe blanche. La maîtresse de maison a sorti sa plus belle vaisselle et les couverts en argent. Les plats richement garnis, les bouquets de fleurs multicolores, les figures joyeuses des convives en habits de dimanche, tout indique que c’est jour de fête. Que peut-on bien célébrer ici ?


Peu à peu, les rires deviennent moins bruyants et les conversations se font plus rare, les invités ont fait honneur au repas préparé par la cuisinière, la chaleur de cet après-midi d’août fait le reste : la fatigue arrive et certains vont s’allonger dans l’herbe pour un petit bout de sommeil. Les autres se regroupent au bout de la table. 

Quelle joie, dit l’un des convives en s’adressant à un homme d’une trentaine d’années, quelle joie de pouvoir fêter ensemble le baptême de ton fils !

Oui, merci à vous tous d’être venus célébrer avec nous ce jour si important dans la vie de notre petit garçon.

- Je suis si heureuse, dit à son tour la maman du petit enfant, heureuse à l’idée que nos enfants vont pouvoir grandir sans avoir peur d’un Dieu qui les juge et les punit.

Entendant que l’on parle d’eux, les enfants arrêtent leurs courses à travers le jardin et viennent s’asseoir à côté de leurs parents.

- Pourquoi vous parlez de Dieu qui punit ? dit l’un d’eux. Ce matin au culte, nous avons entendu que Dieu nous aimait tous, tels que nous sommes et que son amour ne s’arrêterait jamais. Alors nous n’avons pas besoin d’avoir peur !
- Oui, reprend à ce moment là un homme plus âgé, nous croyons tout cela et cela nous aide à vivre, malgré les maladies et la guerre et la mort que nous rencontrons si souvent. Et vous avez de la chance de pouvoir découvrir tout cela dès votre enfance. Votre petit frère qui a été baptisé ce matin fait lui aussi partie de la grande famille des enfants de Dieu.

Une petite fille grimpe alors sur les genoux de son grand-père et le fixe de ses grands yeux étonnés.
- Dis-moi, grand-père, quand tu étais jeune et quand papa et maman étaient petits, ce n’était pas comme ça ? Dieu n’aimait pas encore les gens qui habitaient sur la terre ?

A cette question, tout le monde se met à rire. Mais très vite, le grand-père redevient sérieux.
- Tu sais, quand tes parents avaient ton âge et plus loin encore, quand moi j’étais un enfant, on nous enseignait surtout ce qu’il fallait faire pour plaire à Dieu. Et on nous disait ‘Dieu nous regarde, Il contrôle tout ce que nous faisons et Il nous juge. Et parmi nous, beaucoup de serons pas acceptés dans son Royaume. »

Les enfants n’en reviennent pas. Ce Dieu là, ils n’en avaient jamais entendu parler.
Plus tard, continue alors le grand-père, on a appris à compendre autrement la vie chrétienne, en étudiant la Bible. Ce que l'on a découvert a bouleversé le quotidien : Dieu est proche des hommes, Il les connaît et les aime même avec leurs défauts. Aucun être humain ne peut mériter cet amour de Dieu ; ni son intelligence, ni sa richesse, ni les actions qu’il fera sont utiles pour plaire à Dieu. Les histoires bibliques qui parlent de Dieu sont devenues pour nous une « Bonne Nouvelle » et maintenant, nous n’avons plus besoin d'avoir peur de lui..."

Pour nous, aujourd’hui, vivre avec Dieu, c’est un peu comme vivre sous cet arbre où toutes sortes d’oiseaux se rassemblent. On ne les connais pas tous. On ne connait même pas leurs noms ! On entend leur chant étrange. Mais on sait une chose : ils ont le même droit que nous d’être sous cet arbre, de chanter, de s’envoler, de revenir ; on sait qu’il sont aimés comme nous le sommes...


Chers amis, voici un beau tableau d'une religion qui a su se réformer, se réinventer. Et pourtant, je trouve ce tableau faux, je ressens comme mensonger ce mythe d'un protestantisme qui serait devenu, par la Réforme, une foi chrétienne épurée, une religion qui n'a plus besoin de Réforme, puisqu'elle est réformée.

C'est peut-être aussi ce mythe qui a contribué à ce que nos contemporains - et d'une certaine façon, nous-mêmes - n'attendent plus grand chose de la religion en général, et du protestantisme en particulier. On se dit : La religion protestante, si ça marchait, ça se saurait...

Pourtant, vivre la vie chrétienne dans une Eglise protestante est bel et bien construit sur cette expérience que la vie chrétienne, ça pourrait se passer tout autrement ! D'abord, elle pourrait être pire; elle pourrait être moins réconfortante et moins conviviale, surtout moins pertinente pour en vivre et revivre tous les jours. Mais à l'opposé, c'est aussi reconnaître que la vie chrétienne pourrait être meilleure, plus stimulante, plus pertinente pour en vivre et revivre tous les jours.

Même si toutes les Eglises et tous les Chrétiens ne sont pas à l'aise avec cette affirmation -qui est pourtant à la base de notre expérience religieuse- il faut bien l'affirmer clairement : Une religion est toujours une invention humaine, comme d'autres phénomènes sociaux, comme la République ou le système économique sont des créations humaines. Et heureusement ! Car cela signifie : La religion aussi, on peut la réformer ! On peut, avec le temps, apprendre à l'améliorer, ou au moins à contrer la décomposition et dégradation naturelle par des efforts pour la rénover.

Notre religion protestante elle aussi connaît une décomposition permanente, qui nécessite notre créativité pour lui redonner régulièrement de nouvelles règles, pour rénover et réinventer ses bâtiments, pour mettre en question son fonctionnement interne et sa façon de s'impliquer dans la société.

Si cela vous scandalise, si vous vous dites : "mais c'est quand même un peu exagéré, tout ça, la religion, ce n'est pas une simple invention, tout ça, c'est de la philosophie..." - eh bien, attachez-vous bien, car il y a quelqu'un qui devrait s'y connaître et qui revendique cette Réforme constante, une réinvention permanente de notre religion : c'est Dieu lui-même !

Dans les livres prophétiques, c'est assez fréquent que Dieu se plaint, à travers la bouche du prophète, de la religion des hommes ! Nous avons lu dans le livre du prophète Michée comment Dieu fait même le procès à la religion. Nous avons entendu la plainte exprimée par Dieu devant le tribunal de l’univers, symbolisé par les collines et les montagnes. Dieu rappelle ses hauts faits libérateurs aux temps de l’Exode et de la traversée du désert, et il met ainsi en évidence l’ingratitude du peuple qui s’est tourné vers l’idolâtrie. Malgré un Dieu qui se donne à son peuple, la religion des hommes ne lui donne souvent rien en retour.

Dans notre lecture de Michée, en réponse à cette interpellation par Dieu, le peuple se livre à un examen de conscience au sujet de la Réforme de la religion. Cette démarche débouche sur un admirable résumé de l’enseignement des grands prophètes. A travers Michée, les fastes de l’holocauste et l’horreur sublime des sacrifices d’enfants sont rejetés. Le prophète récuse toute forme des sacrifice - et sans que nous nous en apercevions, il a réalise une des Révolutions majeures dans l'histoire des religions ! Une religion sans sacrifices : si vous racontiez ça à une homme de la préhistoire, il serait sans doute profondément choqué et vous dira : Mais ce n'est plus une religion alors ! (heureusement que l'on rencontre assez peu souvent des gens de la préhistoire).

Aussi improbable que cela puisse paraître : Nous, les hommes et les femmes sur cette terre, nous avons toujours su réformer les religions. Nos ancêtres sont passés des religions avec des sacrifices humains aux sacrifices des animaux, pour ensuite écarter les sacrifices tout court. Nous avons su réformer une religion qui dénigrait des races, qui rabaissait les femmes, qui diffamait les autres religions, qui rejetait certaines expressions sexuelles, grâce à cette conviction qui est à la base de notre religion : Rien n'est sacré - Dieu seul est saint.

Et c'est précisément la sainteté de Dieu qui le conduit lui-même, selon le prophète Michée, à établir une règle éternelle pour la Réforme, la réinvention permanente de notre religion :

"Qu’est-ce que le Seigneur réclame de toi,
si ce n’est que tu agisses selon l’équité,
que tu aimes la fidélité,
et que tu marches modestement avec ton Dieu?"

Dieu attend de nous, de notre religion comme de notre vie, qu'elles soient équitables, qu'elles reflètent la fidélité et la modestie de ceux qui marchent avec lui. L’actualité de cette parole n’a jamais faibli, comme le besoin de réinventer la religion n'a jamais disparu. C'est un malheur que le protestantisme aussi a longtemps cru incarner "la" religion qui n'a plus besoin de réforme, puisqu'elle se réclamait de la Réforme. Le christianisme protestant, comme toutes les confessions chrétiennes et toutes les religions, doit s'exposer à cette exigence de Dieu pour toute religion humaine, déclinée en trois critères simples :

1. L’équité : Chercher à toujours réinventer une religion qui nous éduque de faire beaucoup de choses avec peu de gesticulations, au lieu de faire peu de choses avec beaucoup de gesticulations ;

2. La fidélité : Chercher à toujours réinventer une religion qui nous éduque d'aimer beaucoup avec peu de récompense, au lieu d'aimer un peu en cherchant beaucoup de récompense ;

3. La modestie : Chercher à toujours réinventer une religion qui nous éduque de dire beaucoup de choses avec peu de mots, au lieu de dire peu de choses avec beaucoup de mots. AMEN.