dimanche 8 septembre 2013

Ta foi, tu ne l'auras pas

Culte de rentrée - Dimanche d'éveil au judaïsme
(Luc 17, 5+6)

Je veux avoir la foi
Je veux avoir la foi
Je veux avoir la foi

Je veux avoir plus de foi
Je veux avoir plus de foi
Je veux avoir plus de foi

Je veux avoir plus de foi que mon prochain
Je veux avoir plus de foi que ce type-là
Je veux avoir plus de foi que ce ringard

Je veux avoir la foi la plus ferme, la plus fidèle, la plus pomponnée, la plus endimanchée, la plus cool, la plus miraculeuse, la plus incroyable, la plus prestigieuse, la plus intelligente, la plus renversante, la plus mirobolante…

Mais Jésus te répond sèchement : tu ne l'auras pas, ta foi !




Voilà où nous en sommes, frères et soeurs, toujours dans la même position que les premiers disciples. On ne l'aura pas, la foi.

Jésus rend même notre volonté d'avoir la foi complètement absurde. Si l'on prend au sérieux l'image qu'il utilise, nous, chrétiens bien-catéchisés et documentés, lisant Réforme et le Nouveau Messager, nous n'aurons pas plus la foi que les disciples qui étaient, eux, des juifs de la campagne de Galilée. Notre foi, dit Jésus, tant qu'elle sera incapable à déplacer un arbre dans la mer ou, selon Matthieu, à déplacer une montagne, est plus insignifiante qu'une graine de moutarde. Voilà ce Jésus nous dit. Notre foi n'est rien. Elle ne nous servira à rien.

Ce constat peut surprendre voire choquer, puisque nous avons l'habitude de penser que dans la vie chrétienne, c'est de notre foi que tout dépend, que la foi y est une sorte de moteur : si je l'ai, j'y vais ; si je ne l'ai pas, j'y vais pas.

Manifestement, cette idée-là ne correspond à rien dans l'Évangile. Elle est plutôt le produit d'une description purement sociologique de la communauté chrétienne : pour y participer, dit-on, il doit y avoir quand même une espèce de conviction commune, des valeurs partagées, des vérités que chacun tient pour vraies. La foi comme une idéologie, un système d’idées, de croyances, de doctrines propres à ce groupe social ; une série d'affirmations clairement formulées qui permettent à chaque chrétien ou candidat-chrétien de répondre par oui ou par non.

La catéchèse des jeunes comme des adultes, et la confirmation, ont d'ailleurs longtemps été comprises ainsi : apprendre par coeur la formulation officielle de la foi (en vigueur à ce moment-là), et la recracher (les anciens se souviendront) devant un jury qui "confirme" ensuite l'appartenance ou la non-appartenance du candidat à la chapelle en question.

Cette fausse idée de la catéchèse, et plus généralement cette perception funeste de la foi chrétienne, sont à mon sens parmi les causes principales pour le flou artistique et la confusion parfois grossière qui règne de nos jours au sujet de la vie chrétienne. On y cherche une idéologie lénifiante, sécurisante, ou flamboyante, et comme on ne la trouve pas "à emporter", soit on se la bricole (en écartant ou en ignorant toute contradiction) en faisant bande à part, soit on se détourne de l'église, déçu, en racontant que la foi chrétienne n'est plus ce qu'elle était, qu'elle n'a plus de valeurs, qu'elle a perdu sa rigueur, sa saveur et que sais-je encore.

C'est aussi par ce biais-là qu'on rencontre souvent, à l'intérieur comme à l'extérieur des églises, une attente liée à cette vieille attitude des disciples, l'attitude de ceux qui aiment s'adresser au maître. Monsieur ou Madame le pasteur, augmentez en nous la foi ! peut-on parfois lire sur les visages ; et dans le contexte actuel de la prochaine élection du président du Directoire de notre église luthérienne, certains semblent appeler de leurs voeux un "Monsieur ou Madame le président, augmentez en nous la foi !"

Or, si l'on peut comprendre la demande des disciples adressée à Jésus comme une sorte d'appel à l'aide dans un moment de doute ou de solitude, il ne faudrait pas en faire une démarche constitutive de notre vie spirituelle, surtout pas vis-à-vis du  clergé protestant. D'abord parce que les pasteurs, les présidents des Conseils presbytéraux et des Consistoires ainsi que les inspecteurs au niveau de l'église locale, comme le président du Directoire au niveau régional, ont préférablement une fonction de service, non pas une fonction de conduite ou de direction.
Dans les Églises se réclamant de la Réforme, nous ne vivons pas dans une structure épiscopale, étant donné que l'episkopé protestante est de construction communautaire ; la direction d'église y est exercée collectivement et collégialement. Le président, s'il doit certes aussi prendre des décisions, est avant tout appelé à être modérateur, pour veiller à ce que la parole circule dans l'église, en respectant l’esprit de fraternité ; il doit parfois limiter les dérapages, se faire intermédiaire, médiateur, négociateur, porte-parole, ombudsman, pacificateur ou réconciliateur. Voilà le service que nous pouvons à juste titre attendre du futur président ou de la future présidente. Mais il ou elle ne pourra pas nous donner ou redonner la foi dont Jésus parle dans l'Évangile.

Aussi, il ne faut pas faire de la supplique des disciples une démarche de la vie spirituelle parce que la réponse de Jésus nous montre clairement que la question de la foi se pose autrement. Sa réponse mordante pointe une idée reçue - l'idée que la foi est un type d'avoir ou de savoir particulier - qui entrave finalement la quête de foi.

Au sein de la Communion protestante Strasbourg-centre, nous nous sommes réunis afin avancer face aux idées reçues sur la foi une pratique vivante de la catéchèse pour toutes les générations. D'abord à travers la catéchèse qui prépare à la confirmation, pour donner à chaque jeune qui le souhaite l'occasion de prendre la parole pour répondre à la parole de grâce de son baptême. La confirmation est cette occasion unique de dire publiquement où j'en suis dans ma démarche de foi et de doute, d’interrogation et de recherche de convictions ; ce n'est pas le moment pour recracher une doctrine.

Ensuite, dans le domaine de la catéchèse d'adultes, que nous appelons "éducation chrétienne personnelle", nous proposons d'interroger notre religion et notre spiritualité par la réflexion ; vous trouverez le programme des manifestations pour l'automne bientôt dans votre paroisse.

Car comme les disciples, nous aussi, nous avons du chemin à faire vers la foi dont Jésus parle. Si elle n'est donc pas une doctrine, un savoir-croire quantifiable, augmentable, enseigné par un maître, de quelle foi s'agit-il ?

Jésus n'en donne jamais une définition complète ; il en est plutôt le modèle vivant. Pour connaître la foi qui déplace des arbres, il suffit de rencontrer la foi de Jésus, la relation à Dieu qui le faisait vivre dans sa pratique juive. Cette foi est consignée dans la Bible hébraïque que nous classifions à tort comme un "Ancien" Testament par opposition au "Nouveau". C'est justement pour nous souvenir de la foi vivante de Jésus que nous sommes invités aujourd'hui à un éveil au judaïsme.

Car dans la pratique juive, la foi n'est pas tant un contenu, mais un contenant : la foi, c'est l'espace où Dieu nous invite à nous saisir en liberté de notre vie, à connaître ses promesses sans se promettre la lune ; à identifier ses dangers sans se perdre dans l’angoisse ; à apprendre à vivre « sur parole », dans l’ambiguïté des sécurités matérielles.
La foi, dans la perspective hébraïque à laquelle Jésus nous initie, c'est simplement notre histoire avec Dieu et avec nous-mêmes.

Pour connaître la foi, nous avons donc besoin d'apprendre à faire le récit de cette histoire. C'est pour cela que nous lisons la Bible hébraïque et le Nouveau Testament. Seulement, comme c'est un peu long, je voudrais vous proposer à présent, pour résumer notre recherche de foi en tant qu'histoire de vie par un petit film. Il raconte l'histoire d'un bonhomme de neige posé sur une étagère, parmi différents gadgets-souvenirs, et qui veut s'échapper de sa boule de verre pour aller ailleurs… C'est presque une courte histoire universelle de la foi, telle qu'elle s'apparente à celle que la Bible hébraïque nous transmet. Regardez.

(Knick knack, Pixar, 1989)


Vous avez là l’histoire de l’humanité telle que la Bible hébraïque, grosso modo, nous l’apprend. Ce petit film qui date de l’époque où l’on commençait à faire des dessins animés sur ordinateur raconte à sa façon l’histoire de chacun de nous, de notre quête de foi.

Nous ressemblons tous à ce bonhomme de neige dans la tempête d’une boule à neige : nous ne savons pas pourquoi nous sommes là, à l’endroit où nous sommes. Nous avons parfois ce sentiment de ne pas vraiment être bien dans notre vie, à l’endroit où nous sommes. Nous sommes las de ne pas voir clair dans ces incessantes tempêtes de neige de notre vie.

Nous avons parfois ce profond désir d’être ailleurs, de sortir de notre petite boule à neige, pour trouver le vrai bonheur et la foi de vivre à un autre endroit qu’à celui où nous sommes.

Ce que fait le bonhomme de neige dans le film, beaucoup de gens essaient de le faire dans leur vie : d’après la Bible, c’est même le rêve le plus ancien de l’humanité. Se créer son propre destin pour d’aller ailleurs, pour bâtir par nos propres forces une meilleure vie, selon les idées de chacun.

Or, pour apprécier la foi de Jésus comme notre histoire avec Dieu et avec nous-mêmes, il faut connaître la longue histoire du peuple de la Bible hébraïque. Sans elle, la vie de Jésus n’a de valeur que pour ceux qui le prennent pour une sorte de Super-Harry-Potter. Tout l’Évangile est porté par l’école hébraïque de la connaissance de soi et de Dieu : la séparation entre « Ancien » et « Nouveau » Testament n’est qu’une ligne sur la table de matières de la Bible, et non une séparation entre deux mondes religieux qui s’opposent et s'excluent. La foi que Jésus nous transmet nous place dans cette longue histoire et vient ainsi interférer dans notre quête de foi.

Une grande partie de la vie chrétienne est alors un chemin de connaissance de soi-même. Apprendre à connaître l’orientation de la Torah, les visions des prophètes et l’avenir de Dieu annoncé par Jésus, passer par cette école de la connaissance de soi et de Dieu que représente la Bible hébraïque, c'est ce que j'appelle apprendre à croire.

Apprendre à croire signifie alors mettre des mots sur ce qui nous arrive ; telle est la vocation de l'humain. La tradition chrétienne y a participé depuis ses origines et par un effort de langage constamment à renouveler. Toute la Bible peut être considérée comme le "chantier à mots" de ce travail à vie de la foi qui se nourrit des joies et des peines, qui relate, argumente, pleure, célèbre, accuse et s'oppose…

Il faut donc s'y faire : au lieu d'augmenter rapidement par magie notre petite foi, Jésus nous invite à prendre un long chemin, celui d'apprendre à croire, tout au long de notre existence, au sein de l'espace de la Bible, pour nous saisir en liberté de notre vie. Amen.