dimanche 26 mai 2013

Expériences de la Trinité

- Evangile selon Jean, chap. 14, vv. 15-21 -

Il (ou elle) traîne à la maison, ne participe pas à la vie de famille et moins encore aux travaux domestiques, laisse traîner son linge, ne débarrasse jamais son couvert, réclame, voire exige, toujours davantage d'objets de consommation sans considérer la réalité des ressources familiales, son travail scolaire laisse à désirer et l'idée de travailler lui donne des sueurs froides, il lui arrive de plus en plus de vous manquer de respect... vous le reconnaissez ? Évidemment, c’est un ado !



Si toutes nos relations ont des aspects compliqués, je ne risque pas grand-chose en affirmant que les relations entre parents et adolescents sont, pour d’aucuns, l’éternel tenant du titre dans le championnat des rapports ardus. Tous les débats domestiques sur l’heure vespérale du retour à la maison, tel rendez-vous amoureux en pleine période d’examen, ou la soirée surprise avec les copains dans le salon familial, résistent facilement au poids, j’ose dire, d’autres conflits en couple, fratrie et entreprise.

Nombreux sont pourtant les psychologues qui conseillent aux parents de tenir bon : pour trouver l'équilibre entre liberté et sens du lien, entre autonomie et attachement, les jeunes ont besoin de vis-à-vis fiables et souples, mais exigeants sur les principes. Toutes les études montreraient que ces conflits parents-ados, s'ils peuvent certes éprouver la confiance et la patience entre générations, nourrissent essentiellement la capacité d'une personne adulte d'apprendre à gérer sainement la présence et l'absence d'un autre dans sa vie. Savoir apprécier la présence et l'absence d’autrui serait ainsi structurant de l'humain.

Il me semble que l'Évangile que nous avons entendu se situe sur le même plan. Nous nous retrouvons là au sein d'une communauté dont le Christ et maître annonce haut et fort : « Je m'en vais. Ne croyez pas que ma présence écrasante soit la condition de votre salut : au contraire, seulement mon absence vous fera vivre ce que vous devez vivre. » Heureusement, le Jésus de l’Évangéliste Jean le dit de façon plus diplomatique - sinon on croirait entendre un ado qui parle à ses parents…

Mais l’annonce est toutefois claire : un autre temps de la relation avec le Christ commence à travers ce texte. Jésus, le héros politique et religieux : c’est fini. Jésus, le guide spirituel insurpassable : c’est du passé. Les disciples doivent apprendre à gérer l'absence de Jésus, apprécier autrement sa présence. Les chapitres 13 à 16 de l’Évangile selon Jean nous présentent cette nouvelle vie de ceux dont l’existence a été orientée par la rencontre avec Jésus - le prédicateur des Béatitudes, le prophète de la tendresse, le consolateur des infirmes et des endeuillés. Ils la présentent par un nom difficile à traduire : le paraclet, littéralement celui qui a été appelé pour venir en aide.

Jésus apparaît ici implicitement comme le premier qui a été appelé pour aider ; mais seulement avec l’aide de cet autre paraclet, Esprit de vérité, qui vient à l’heure où Jésus disparaît, les disciples devront trouver l’équilibre entre liberté et sens du lien, entre autonomie et attachement, grâce à un vis-à-vis fiable, souple, mais exigeant sur les principes : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. »

Les amis de Jésus doivent apprendre à gérer sainement et la présence et l’absence de Dieu dans leur vie. Cette présence et cette absence font partie de leur histoire avec Dieu ; ce sont là des expériences fondatrices qui leur permettent de prendre en main leur vie. Ces expériences structurent la vie chrétienne : expérience de la présence de Dieu qui peut se dire par le toucher d’une main, dans le regard d’une personne souffrante, ou à travers un récit biblique qui me fait mieux comprendre ma vie ; expérience de l’absence de Dieu dans la morale, la science, l’histoire, comme bouche-trou…

Car Dieu n'écrase personne par sa présence ; son absence est aussi une condition de notre salut, pour que nous devenions des hommes et des femmes responsables, autonomes et critiques vis-à-vis de toute idéologie ou même théologie. Aussi, l'absence de Dieu nous fait vivre ce que nous devons vivre. La présence-absence de Dieu stimule la foi qui sinon devient une croyance trop-pleine, écrasante.

Depuis les origines, les Chrétiens ont pris l’habitude de parler de ces expériences paradoxales de la présence-absence de Dieu à travers le nom « Trinité ». Oui, la Trinité - souvent considérée comme l’incompréhensible dogme par excellence - veut nous aider à comprendre la présence et l’absence de Dieu dans notre vie. Il est important, pour cela, de se souvenir que dans l’Évangile, les expressions « Pere, Fils, Saint Esprit » ne renvoient pas à une doctrine, mais à une histoire. Elles n'expliquent rien. Elles racontent des expériences de la présence et de l'absence de Dieu dans un temps donné. Elles ne définissent pas une théorie, elles se nourrissent d’une relation.

Le père : souvenir du don. Le fils : expérience du pardon. L'esprit : espérance de la consolation. La vie chrétienne est faite de passages d'une expérience de Dieu à une autre, en n’écartant rien de ce que l'on a vécu, ou que beaucoup d’autres ont vécu. Je crois que ce qui donne toujours une certaine crédibilité à la démarche chrétienne, c’est qu’elle établit au présent un lien constructif entre les expériences du passé et la quête spirituelle d’avenir. Ce lien me semble être compris dans ce que l'on a voulu appeler la Trinité, qui ne parle donc pas de trois dieux différents, mais de différents moments de la présence-absence du Dieu unique dans une vie humaine.

On pourrait même essayer d'expliquer ainsi la Trinité aux ados : notre relation à Dieu connaît des moments différents, ressemblant à l'expérience d’une personne qui vit avec ses parents en tant que bébé, en tant qu'ado, en tant qu'adulte. Le vécu de cette relation est complètement différent à chaque âge, notamment par l'appréciation différente de la présence et de l'absence, de la liberté et du lien, de l'autonomie et de l'attachement. Mais ce sont bien les mêmes parents, et surtout c'est bien le même enfant. Ainsi est-il de la relation à ce Dieu qui advient en présence et absence : Le Père évoque le souvenir d’une confiance d’enfant. Le fils remémore la révolte et l’expérience du pardon. Le Saint-Esprit invoque l’espérance de la consolation.

À travers les expériences condensées dans la Trinité, la vie chrétienne devient une école de la relation qui nous permet de mieux vivre dans un monde qui change, tout en restant celui que nous sommes appelés à devenir. Cette relation au Père, Fils et Saint-Esprit aide à apprendre à gérer la présence et l'absence de l'autre et du tout-autre. Amen.