vendredi 17 mai 2013

Prendre le temps

"respire - une heure ailleurs"
-  Lecture dans le livre de Qohélet, dit l'Ecclésiaste, chap. 3, vv. 1 à 8. -

"Il y a un moment pour tout,
un temps pour chaque chose sous le ciel.
Un temps pour mettre au monde et un temps pour mourir;
un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
un temps pour tuer et un temps pour guérir;
un temps pour démolir et un temps pour bâtir;
un temps pour pleurer et un temps pour rire;
un temps pour se lamenter et un temps pour danser;
un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres;
un temps pour étreindre et un temps pour s'éloigner de l'étreinte;
un temps pour chercher et un temps pour perdre;
un temps pour garder et un temps pour jeter;
un temps pour déchirer et un temps pour coudre;
un temps pour se taire et un temps pour parler;
un temps pour aimer et un temps pour détester;
un temps de guerre et un temps de paix."


A :  L’art, ou plutôt, la maladie de remettre au lendemain ce qu’on peut faire aujourd’hui s’appelle la procrastination. (Je vous rassure tout de suite, la procrastination n’est pas un péché chrétien, mais ça peut faire mal quand même.) C’est cette tendance bien humaine à reporter à plus tard ou, le plus souvent, à la dernière minute, la mise en route d’un projet, d’un travail. Le procrastinateur parfait, c’est le lièvre de la fameuse fable de Jean de la Fontaine. Vous vous souvenez sans doute : « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. » Le lièvre court à gauche et à droite, se repose et va faire autre chose, jusqu’à la toute fin de la course ; puis il part à toute vitesse, afin de rattraper le temps perdu.

Les spécialistes en gestion du temps ont la procrastination en abomination. Les étagères des librairies et peut-être de vos bibliothèques à la maison croulent sous les livres à ce sujet. La procrastination est une ennemie à combattre, disent-ils, parce que le travail de dernière minute est souvent de moins bonne qualité et surtout, il est générateur de stress. On considère ainsi la procrastination comme étant la maladie de ceux qui ne savent pas prendre le temps quand il le faut : c’est comme si l’on consommait du temps à crédit. On décide de ne pas commencer parce qu’on n’a pas confiance en soi, parce qu’on ne sait pas organiser les priorités ; ou bien parce qu’on trouve toujours quelque chose de plus important, ou plus facile, ou plus marrant à faire. Je sais de quoi je parle… Ou bien, on se dit qu’on n’est pas en forme au jour J et qu’on pense qu’on sera mieux le lendemain. Et en plus, puisque le procrastinateur fait attendre les autres, il se sent important, voire indispensable.
Mais on peut regarder la chose d’une autre manière. Quant au lièvre de La Fontaine, on pourrait aussi conclure qu’au lieu de gagner une course sans grand enjeu, il a pris le temps « de brouter, de dormir et d’entendre d’où vient le vent ». Ce qui n’est pas si désagréable, après tout. Il existe bien des procrastinateurs heureux. Ce sont ceux qui s’accommodent de ce trait de leur personnalité et cessent de le combattre. La recherche scientifique en organisation du temps les appelle « procrastinateurs actifs » : en remettant au lendemain ce qu’ils auraient pu faire aujourd’hui, ils améliorent en fait leurs résultats. Car grâce à la pression d’une grande tâche reportée, ils arrivent à faire mille petites choses aussi utiles. Il y a ainsi toute une sagesse qu'il est nécessaire d'apprendre si l'on veut prendre le temps.

B : Mais quelle sagesse pourra jamais nous aider à vivre calmement, dans un monde qui court ? Quels mots diront notre sentiment de manque de temps ? Et quelles phrases pourront répondre au temps qui passe ? Trouverons-nous des recettes faciles dans notre Bible ? La religion, donnera-t-elle vite fait un sens au temps futile et à la finitude ?
Notre lecture tirée du livre de Qohélet dit l’Ecclésiaste nous rappelle qu’il n’en est rien. La Bible n’est pas la solution facile à nos questions. Mais elle peut nous aider à mettre des mots sur ce que nous vivons. Elle se veut ainsi un temps en dehors des temps, un moment de repos pour nous pendant nos jours animés.
La lecture biblique crée ce temps en dehors des temps, elle nous conduit dans notre recherche. La Bible est une école à prendre le temps ; elle est en soi une réplique à la mort.

Nous avons connus dans notre vie,
des temps pour mettre au monde et des temps pour mourir;
des temps pour planter et des temps pour arracher ce qui a été planté ;
des temps pour tuer et des temps pour guérir ;
des temps pour démolir et des temps pour bâtir ;
des temps pour pleurer et des temps pour rire ;
des temps pour se lamenter et des temps pour danser ;
des temps pour jeter des pierres et des temps pour ramasser des pierres ;
des temps pour embrasser et des temps où il n'est pas bon de le faire ;
des temps pour chercher et des temps pour perdre;
des temps pour garder et des temps pour jeter;
des temps pour déchirer et des temps pour coudre;
des temps pour se taire et des temps pour parler;
des temps pour aimer et des temps pour détester;
des temps de guerre et des temps de paix.

Ce petit poème biblique nous invite à vivre pleinement chaque instant de notre vie, de prendre chaque instant pour ce qu’il est – bonheur ou malheur, joie ou déprime, mouvement ou repos. Il nous invite à ne pas chercher à avoir tout en même temps. Il nous invite à permettre que le temps de la vie passent, qu’on ne possède pas les temps de la vie, comme on ne possède pas la vie.

A : Je comprends que je ne saurais prendre le temps ; c'est plutôt le temps qui me prend. Mais je trouve que cette histoire de procrastination active est quand même un bel exemple de la paix biblique quant au temps qui passe : c'est accepter que l'on ne peut pas tout faire à chaque instant. Qu'il y a un temps pour tout. Et que souvent, quand je me dis "Je n'ai pas le temps", c'est que je ne veux pas le prendre, que je ne veux pas être pris par ce qu’il me réserve.

Je crois que ce poème de Qohélet qui paraît si profane et philosophiquement banal, exprime cette profonde confiance en Dieu que quel que soit le temps de ma vie que je traverse, j’ai un appui et une espérance qui me sont renouvelés - à condition que j'apprenne à prendre le temps de m’en rendre compte.